Dans les coulisses de la soirée Forsythe

Passionnée de danse, découvrir les répétitions d'un spectacle auquel je vais assister dans quelques jours est une opportunité inattendue et l'occasion pour moi d'éclairer cet art d'un regard nouveau. Récit de cette expérience privilégiée dans les coulisses du spectacle Forsythe/Millepied par le Ballet de l'Opéra de Lyon. Laudine Posa

Opéra de Lyon, Entrée des artistes - Mercredi 22 octobre, 14h.

Après les présentations dans la salle de spectacle vide, la Brigade prend la direction du Grand studio du Ballet, au onzième étage de l'opéra, où les danseurs répètent Steptext de William Forsythe. Le studio surplombe les toits lyonnais, offrant une vue imprenable sur la ville. La Brigade se faufile dans un coin du studio, histoire de se faire discrète. En immersion, telle une petite souris de l'opéra, dans un monde qui m'attire depuis toujours, j'ai la chance de vivre de l'intérieur un spectacle encore en construction.


Répétition

Six danseurs s'échauffent, certains parlent avec la maîtresse de ballet, relais du chorégraphe. Les échanges se font en anglais, les danseurs venant du monde entier. Puis la répétition commence : trois couples se forment pour revoir un segment de la chorégraphie. Il s'agit d'une répétition très technique, les mêmes mouvements sont répétés encore et encore. La chorégraphie mêle le classique au contemporain, les danseuses montent sur pointes et leurs partenaires les font tournoyer dans l'espace. Les mouvements sont purs, nets, entre énergie et recherche de déséquilibre. Les couples s'élancent sur la partita pour violon seul de Bach : une virtuosité se dégage de cette danse. Le bruit des pointes tapant le plancher résonne dans le studio. Certains mots prononcés par la maîtresse de ballet contrastent avec l'anglais ambiant : le français est la langue universelle pour le vocabulaire technique de la danse.


Réalité

De mon coin au ras du plancher, je perçois toute la difficulté de la chorégraphie pour les danseurs, normalement imperceptible lors des représentations. Je comprends alors à quel point cette illusion de simplicité est en fait le fruit de longues heures de travail acharné. A ce stade des répétitions, les mouvements sont connus, assimilés, mais pas encore totalement maîtrisés. Le travail de la répétitrice consiste donc à peaufiner, à corriger précisément les danseurs : l'appui d'un porté, une cambrure, un port de bras, l'orientation d'une pointe... Dans un souci du détail, tout est rigoureusement revu pour toucher au plus près la justesse du mouvement créé par le chorégraphe. Cette danse exige l'excellence. «It's starting to come» lance la maîtresse de ballet, à la fois minutieuse et bienveillante, avant de les faire recommencer.

La chaleur du studio baigné de lumière, les danseurs en survêtement, leur entraide, leurs échanges, les rires et sourires lorqu'ils se trompent ou trébuchent : c'est le tableau vivant et enthousiaste auquel nous assistons. La répétition est leur quotidien, elle ancre la danse dans le réel. C'est à ce quotidien que nous avons accès aujourd'hui, le spectacle n'étant que la vitrine, le résultat de tout ce travail réalisé en amont. L'envers du décor nous livre cet autre aspect de la danse, qui ne relève pas seulement du domaine du rêve, de la magie éphémère du spectacle. Nous sommes passés de l'autre côté de la scène, il n'y a plus de distance car nous ne sommes pas un public ordinaire.


Rythme

Pour la deuxième répétition nous descendons dans les profondeurs du bâtiment, au niveau 5 du sous-sol. C'est ici qu'ont lieu habituellement les répétitions pour les pièces d'opéra : lumière artificielle, espace brut et cubique, poulies et autres machineries au plafond. D'imposantes tables en fer alignées sur trois rangées occupent quasiment tout l'espace. Quinze danseurs sont réunis pour répéter One Flat Thing: Reproduced, autre chorégraphie de Forsythe composée deux décennies après Steptext. Le style est tout autre : une danse criante de modernité, le contemporain par excellence. Les danseurs réalisent un véritable tour de force, emportés dans un tourbillon d'énergie à une vitesse impressionnante. C'est une danse pulsionnelle et instinctive, presque violente. Le défi des danseurs est de s'adapter à leur environnement. La répétition se fait sans musique, au rythme retentissant des comptes à voix haute et des coups tapés sur les tables. Parfois le silence règne, interrompu par des cris donnant le départ ou initiant un arrêt sur image.

Rebaptisée Danse des tables par les danseurs, cette prouesse spectaculaire force l'admiration tant par sa technique réglée au millimètre que par son rythme effréné. Rythme avec lequel ils jouent, tout comme ils jouent avec les objets dans un espace restreint, tantôt au dessus, à côté ou en dessous des tables. Ils cherchent à faire corps avec elles, elles font partie intégrante de la danse. Tout est sous contrôle, enfin presque. Parfois la maladresse se mêle à la grâce et elle ne pardonne pas. Difficile alors d'éviter les chocs : les danseurs se cognent, comme en témoignent les bleus sur leurs corps. On comprend bien toute la nécessité de faire et refaire encore ces mouvements. Pour terminer la répétition, ils reprennent la chorégraphie en entier cette fois : la vague d'énergie se répercute d'une table à l'autre. Il émane de cette danse une force presque vitale donnant l'impression que les mouvements s'inscrivent dans l'espace comme pour laisser une trace.

J'ai hâte d'assister au filage puis au spectacle pour voir le résultat de tout ce travail et constater le chemin parcouru depuis ce jour de répétition.

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