Vers l'autre rive, Kiyoshi Kurosawa

Le temps est maussade, il fait froid. Je bois du thé pour me réchauffer et je regarde le programme du cinéma Comoedia. Une évidence, je prends mes clefs, je ferme la porte derrière moi et je pars. Je pars pour le Japon, pour un voyage "vers".

Le film de Kiyoshi Kurosawa sorti il y a quelques jours retrace l'aventure de deux époux dans le Japon rural quotidien. Mizuki vit seule depuis la mort de son mari il y a trois ans et donne des cours de piano à des enfants. Un soir, alors qu'elle prépare son repas, Yusuke, son mari décédé lui rend visite; c'est le début d'une épopée en direction de "l'autre rive".

Cette oeuvre, consacrée " un certain regard" au Festival de Cannes 2015, est une initiation. Une initiation à la résurrection, au voyage et à la vie après/pendant la mort; c'est aussi une ode à l'amour, à l'après. On suit des personnages riches, je veux dire complets mais tout à fait insaisissables; on les suit et en même temps que l'on ne veut pas s'imposer, on ne veut pas non plus les quitter. Même, au moment où l'inévitable survient, on se surprend à espérer la réincarnation absloue, la résurrection pleine et entière de l'homme au manteau, ou même, on se surprend à espérer le pire: le suicide de Mizuki pour qu'elle puisse retrouver dans le monde des morts, celui qu'elle aime plus que tout.

Mais ce serait se méprendre profondément. Ce serait calquer des éléments de tragédie grecque aristotélicienne et un héritage théâtral occidental lourd sur une histoire qui, malgré le contexte, est légère. Brumeuse. Mizuki n'est pas prête à laisser partir Yusuke; même au bout de trois ans, elle espère encore son retour et le retrouver. Et fait tout ce qu'elle peut dans ce but; à ce titre, le symbole de la centaine de prières convoquées pour retrouver le corps fait de chair et d'os de son époux n'est qu'une partie infime de ses efforts.

Plus qu'un voyage "vers" la mort, le film est aussi un voyage vers la vie. En réalité, la personne qui va le plus voyager durant ce film, c'est bien la frêle et courageuse Micha. Elle aussi en fin de compte est une morte-vivante (je sais que le terme est à la mode): elle a toute l'apparence de la vie, même dans la retenue, mais elle est morte en elle depuis le départ de son mari. D'ailleurs, c'est au contact de son mari décédé et d'autres âmes errantes que Micha va se diriger vers la rive des vivants. Et nous avec.

Kurosawa nous empêche de pleurer, il nous empêche d'être triste, il nous empêche toute émotion physique et fait de nous des personnes aussi légères que ses acteurs. Meilleur qu'un conte philosophique, plus réaliste qu'un Candide passé de date, il nous amène à goûter la vie, même pour ceux qui restent. Il nous prend, nous recueille, nous, tous petits dans notre siège de cinéma et nous dit: "Tiens, regarde, viens avec moi. Prends un manteau, un petit sac, laisse tes plantes, et suis-moi. Suis-moi et regarde, marche et nourris-toi de mon histoire: mange et prie un peu. Echange avec les autres, aide-les."

A la fin du film, on est heureux je vous assure. On reste dans son fauteuil, on regarde sans le voir ce générique, on se laisse reposer doucement, et puis on se met sur ses jambes et on rentre chez soi. S'occuper de ses plantes. On a pas besoin de parler. Purifiés, presque baptisés par la douce averse musicale de la bande son.

Et puis voilà, on est allé au cinéma. A nous de prêcher autour de nous cette légèreté gazeuse en disant: "Allez-y, et vous verrez."

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X