Dans les coulisses de "L'Arlésienne" #3

Le 14 octobre dernier, une nouvelle session de la Brigade du Ballet offrait d’assister au travail des danseuses et danseurs à l’occasion d’une répétition de "L’Arlésienne" à l’Opéra de Lyon. En absence de tout échange préliminaire, poser là l’œil de son objectif photographique a quelque chose d’inconvenant, d’intrusif à certains égards. C’est sans doute une idée. Je connais des chercheurs qui adorent qu’on les regarde travailler. Leur métier ne consiste pourtant pas à monter sur scène – ou alors si rarement... Au-delà de cette hésitation première, cette rencontre m’aura fourni une opportunité rare et savoureuse d’interroger les mécanismes de la transmission d’une chorégraphie. Quelle écriture du mouvement pour son exacte retranscription dans l’espace ? La question était vaste, la réponse ne sera que partielle… François-Xavier Cierco

Marque de fabrique

Alors les peintres ont commencé à laisser paraître les traces de leurs coups de pinceaux, les sculpteurs, les entailles de leur ciseau, plus tard, les architectes, les marques auréolées de leurs coffrages, laissant la fragilité du bois s’imprimer dans le béton…

(La photographie était née quelques années auparavant et avec elle, la fin de l’illusion dont se berçaient

les pinceaux)

C’est aussi, je crois, ce que Jiri Kilian cherche à mettre en lumière quand il laisse la vie se dérouler rideau ouvert, montrant l’échauffement des danseurs et le travail des techniciens affairés au changement des décors.

Assister à une répétition participe à ce mouvement. Il étend l’art vers le haut, remonte son cours en direction des sources, cherche à l’amont de l’œuvre, de la représentation, les hésitations de sa construction, les vacillements de son enfance, l’origine de ses fragilités intimes.

Accepter ce regard sur nos brouillons, c’est sans doute assassiner une perfection qui n’a par ailleurs jamais été de ce monde. C’est un meurtre de théâtre, l’extinction d’un phantasme, la strangulation d’un souffle d’air. Rien de grave au demeurant, si ce n’est, un peu, pour l’égo, qui par la force des choses, sort du combat dévêtu d’un pan de son manteau de fierté – mais quel prix faut-il accorder à cette chemise déchirée quand c’est justement dans le torse d’homme ou de femme qu’elle voilait que se cache ce surplus de vrai ?

L’épaisseur du trait, la rugosité de l’imperfection, la sueur de l’artisan sur le métier, la diversité des laideurs de l’humanité dissimulent une mosaïque de couleurs altérées, de volontés parfois dissoutes, parfois exacerbées, de visages banals et trop humains. En eux, une beauté hirsute se fait jour que la face cachotière de la lune, du miroir, cherchait à gommer, à lisser, à laminer, entre les lames inexorables de ses reflets trompeurs – l’or, outre sa brillance, est lourd et radioactif.

Imparfaite beauté

Qui,

à son tour

Mérite d’accéder

À la lumière

Parce qu’emprunte d’une vérité

supérieure.

Oralité de la danse

Quand on est comme moi un homme de papier, il est difficile de dissimuler son trouble à l’annonce que la danse n’a pas inventé l’écriture.

Elle se propage pourtant, transmise par le geste et la voix d’un répétiteur semeur de signes. La lumière est un peu fade et le gris du jour atténue la précision du mouvement qu’on devine exact – ou à ce stade, en devenir de l’être – et qui depuis l’annonce de cette fracassante nouvelle, porte en lui, malgré la force qu’il requiert, une fragilité neuve, transparence printanière d’une fleur précoce.

Geste unique que seules contiennent

des mémoires…

Les yeux des spectateurs n’ont pas l’acuité requise pour s’en emparer et le redire au monde.

Danse de tradition orale, contemporaine par sa forme, des traditions premières de peuples eux aussi premiers et véhiculée jusqu’au gouffre de nos regards avides par quelques conteurs, quelques mimes, qui nous parlent d’aujourd’hui. De demain peut-être. Expression primitive et moderne, en arrière et en avant de nous. Mimétisme du nourrisson qui singe mais qui plus loin transcende. Le voilà qui donne au mouvement une précision, une signification, une beauté que les mots seront inaptes à redire.

Danse en-deçà et au-delà de l’écriture.

Il fallait cette rencontre pour concevoir à quel point le Verbe ne suffit pas.

Comme quoi, nul n’est parfait.

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