BENTU, Fondation Louis Vuitton, Paris

Une grande promenade dans un continent de créations.

Jusqu'au 2 Mai, la Fondation Louis Vuitton est entièrement consacrée aux artistes chinois. D'un côté, une exposition d'artistes contemporains, sous l'appellation Bentu, qui veut dire Terre natale, et qui investit l'ensemble du Rez-de bassin, terme pudique pour dire que l'on descend au sous-sol de la fondation. Douze artistes qui vivent et travaillent tous en Chine, essentiellement Pékin et Shangaï, et qui, comme ils ont de 29 à 53 ans, représentent vraiment la création actuelle et ses différentes formes.

De l'autre côté une sélection d’œuvres appartenant à la collection de la Fondation et que l'on retrouve dans le reste des galeries du rez-de chaussée au 2ème niveau, et qui se prolongera jusqu'à fin août.

Bentu

Même si certaines créations contemporaines ne me procurent pas d'émotion particulière - j'ai remarqué que pour l'instant je n'ai jamais vraiment accroché aux installations vidéo - je suis toujours fasciné par l'inventivité de ces artistes et la manière dont il s'approprie les sujets et les incarnent dans leurs œuvres. En voici une sélection.

XU QU, Currency Wars

Comment illustrer les flux financiers et leur rapport à l'art ? Xu Qu crée des panneaux mobiles, montés sur roulettes, sur lesquels il peint en recto-verso des détails de billets de banque de différentes monnaies, en les transformant en formes géométriques abstraites. D'un côté une version propre, le billet neuf, de l'autre une version brouillée, à la bombe, montrant l'argent qui a servi. On se promène alors dans cette espèce de forêt illustrant les mouvements de capitaux et leur rôle à la fois dans les marchés mondiaux et dans celui de l'art.

LIU SHIYUAN, From Happiness to Whatever

Dans une espèce de caverne cubique, tapissée de carrés de moquettes d'une cinquantaine de centimètres de côté et très bigarrés, censée incarner un cocon douillet - l'artiste vit à mi-temps au Danemark, pays où l'indice de bonheur est le plus élevé du monde - Liu Shiyuan diffuse en boucle le paysage radiophonique quotidien d'une famille où s'enchaînent, avec des accents divers, informations, publicités, musique, récits. Une façon de nous alerter sur la manière dont les messages influent sur nos comportements et nous conduisent à accepter une certaine conformité sécurisante.

QIU ZHIJIE, From Huaxia to China

Le tableau Monde. Une oeuvre monumentale et fascinante à la fois dans le fond et la forme, devant laquelle on pourrait passer des heures à décrypter tous les détails. Qiu Zhijue représente un vaste paysage fait de montagnes et de rivières avec en son milieu une sorte de Colisée, où il inscrit, en anglais et en chinois, les traces de l'histoire qu'elle soit politique, économique, culturelle, technique ou même mythique. Il compose ainsi une carte imaginaire, mêlant passé et présent, réalité et mythologie, sorte de mémoire globale de l'humanité. Et comme une ultime opposition entre modernité et tradition, cette oeuvre créée en 2015 pour Bentu est faite en encre sur papier, montée sur soie.

XU ZHEN, Eternity – the Soldier of Marathon Announcing Victory, a Wounded Galatian

A partir d’œuvres anciennes célèbres qu'il combine - ici "Le Soldat annonçant la Victoire de Marathon" et "Un Galate blessé", deux statues grecques exposées au Louvre - Xu Zhen produit de nouvelles créations qui soudain perdent leur caractère historique et deviennent de simples objets de consommation. Il va même un cran plus loin en les multipliant ôtant tout caractère d’unicité à l'oeuvre ainsi créée et mettant en cause la valeur des sculptures d'origine. S'ajoute ici un effet visuel troublant avec ces 5 immenses statues où le Soldat semble s'envoler à répétition.

La Collection

Une des caractéristiques des œuvres sélectionnées parmi la Collection de la Fondation Louis Vuiton est qu'elles sont toutes monumentales, que ce soit des tableaux, des sculptures ou des installations. On comprend plus facilement l'espace qui leur est réservé sur trois niveaux, où elles exploitent au mieux des salles dont l'architecture a semble-t-il été conçue en connaissance de cause. En voici quelques unes.

XU ZHEN, New

Toujours dans cette volonté de s'inspirer d’œuvres passées et historiques pour les transformer en objet moderne, Xu Zhen s'inspire de la déesse bouddhique Guan Yin, généralement statuette immaculée blanche les mains jointes en signe de compassion, pour en faire une sculpture aux couleurs pop acidulées haute de 4 mètres. Elle passe de la représentation de la foi religieuse à la foi dans la société de consommation. Une salle lui est réservée, comme un temple, dans lequel nous entrons pour nous prosterner devant cette nouvelle icone.

ZHANG HUAN, Great Leap Forward et National Day

Lorsqu'on lit les biographies résumées des artistes exposés, ils ont pour la plupart le souci de combiner modernité et tradition, histoire et religion peut-être parce que la Chine est un pays qui a traversé des époques variées, contradictoires et continue d'être un pays où les extrêmes cohabitent. Ils ressentent sans doute le besoin de rassembler ces identités multiples dans leurs œuvres.

Et les deux tableaux de Zhang Huan (3 mètres sur 10 mètres chacun) en sont une illustration exemplaire. Ils représentent des moments historiques de la République Populaire de Chine créée par Mao qui avait éradiqué, à travers sa révolution culturelle, traditions et religion pour bâtir un monde nouveau. Mais le matériau utilisé est de la cendre d'encens collectée dans les temples. Outre que cela représente un travail titanesque, Zhang Huan fusionnent ainsi les opposés pour faire ressortir l'âme complexe du peuple chinois.

D'un point de vue technique, Zhang Huan crée une sorte "d’impressionnisme de la cendre" : de près les formes se distinguent difficilement dans ces paysages gris et noirs, mais dès que l'on prend un minimum de recul - ce qui est somme toute logique pour des œuvres aussi larges - les tableaux prennent vie et nous offrent de vastes compositions fourmillant de détails.

HUANG YONG PING, Cinquante bras de Bouddha

Tant qu'à revisiter une figure tutélaire de la religion orientale, le Bouddha aux Mille Bras, à la lumière de la modernité occidentale, autant y associer une oeuvre emblématique de l'art contemporain : le Porte-Bouteilles de Marcel Duchamp. Cinquante bras plantés sur ce porte-bouteilles gigantesque portent les objets empruntés à l'iconographie bouddhique. Carambolage des époques, des civilisations et de l'histoire de l'art !

ZHANG XIAOGANG, My ideal

My ideal est une représentation glaçante de l'avenir tel qu'il était envisagé à la grande époque du Maoisme. Des enfants au regard vide en costume d'adultes symbolisent la grande famille du peuple chinois : le militaire, l'ouvrier, le commerçant, l'étudiant, le paysan. Les enfants sont nus en dessous de la ceinture exhibant leur sexe juvénile, ajoutant de la fragilité à l'aspect paradoxal du tableau.

Cette oeuvre fait partie d'une série ayant pour thème "la grande famille chinoise" et est déclinée ici en peinture et en sculpture.

AI WEIWEI, Tree

Ai Weiwei est sans doute l'artiste chinois actuellement le plus connu dans le monde, à la fois pour son oeuvre - il a été considéré en 2011 comme la figure la plus puissante de l'art contemporain - et pour son activité contestataire, qui lui a valu quelques mois de détention dans des conditions difficiles en 2011 et une liberté conditionnelle jusqu'en juillet 2015. Son père, poète et intellectuel, avait connu lui les camps de travail et de rééducation.

Tree est un arbre monumental composé de fragments de bois morts et dont les branches symbolisent la diversité du peuple chinois reposant sur leur tronc commun, la Chine. Les applications Fondation Louis Vuitton pour smartphones proposent deux vidéos du montage de cette sculpture, phase amusante à laquelle on n'assiste pas généralement et qui ressemble à un gigantesque meccano dont il ne faut pas égarer les instructions d'installation !

La Fondation Louis Vuitton

Indépendamment des expositions, la Fondation est une oeuvre d'art par elle-même et c'est toujours un plaisir et une émotion de parcourir ce bâtiment et ces différents niveaux, surtout un jour lumineux où le ciel est bleu. De l'extérieur on fait face à un grand navire dont les voiles translucides semblent gonflées par le vent. De l'intérieur on découvre l'assemblage de poutres de bois et de poutrelles métalliques qui soutiennent ces structures, nées de la folie d'un architecte de génie qui a réussi le tour de force de donner à ce bâtiment imposant une allure de légèreté.

Des droits de l'art en Chine

A la relecture de cet article je me suis rendu compte qu'il n'y avait aucune allusion directe ou indirecte à la politique et aux droits de l'homme, à part pour Ai Weiwei dont la notoriété le protège désormais. Il ne fait d'ailleurs pas partie des artistes de l'exposition Bentu, axée sur les mouvances les plus récentes, et est l'artiste le plus âgé avec Huan Yong Ping, qui a également vu ses premières créations interdites par le pouvoir. Est-ce un effet de génération ? Les artistes et les œuvres exposés cherchent à opérer une synthèse entre tradition et modernité ou questionne l'évolution de la société mondialisée, sujets qui ne prêtent sans doute pas à la polémique sur l'aspect autoritaire du régime chinois. Peut-être n'est-ce pas d'ailleurs un sujet qui les concernent directement du fait que leur geste de création ne semble pas contraint et qu'ils ont une audience internationale. Mon mauvais esprit s'est même demandé si le choix des artistes ne répondait pas à une précaution du groupe LVMH de ne pas fâcher les autorités d'un pays stratégique pour la croissance de l'industrie du luxe ! Partons du principe que non, mais un brin de lucidité et de circonspection n'est jamais inutile.

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