Grâce

Par Hervé Walbecq (France). Partant souvent de l’association d’un nom et d’un verbe incongru, l’univers d’Hervé Walbecq se déploie ensuite dans les mots, prolongés par des dessins épurés et poétiques. Ainsi, la réalité « dérape », nous fait sourire et nous émeut. Les objets s’animent, les arbres se déplacent et le lecteur se prend à rêver.

Il y a vingt ans, quand j’étais un tout jeune homme, j’ai reçu une grâce.

Une grâce merveilleuse, magnifique, quelque chose qui s’est gravé au plus profond de mon cœur et qui depuis n’a jamais changé, jamais bougé. Pas une seule fois je n’ai douté de ce que j’ai ressenti à ce moment précis. Toute ma vie prend sa source en lui.

A cette époque, j’étais parti assez loin sur le chemin des souffrances. L’idée même d’en parler me paraissait ridicule et surtout parfaitement vaine. Un soir de Décembre, après une longue errance intérieure, je me suis retrouvé au fin fond d’un monastère, loin de chez moi, sur les terres de Bretagne. Trois jours j’ai combattu. Sur mes petits carnets, j’ai tout noté. Plutôt crever qu’avoir une foi de pacotille, un placebo, qui nullement m’aiderait à vivre. Un soir, ivre de colère et de fatigue, avant de rejoindre ma cellule, j’ai ouvert la porte de la chapelle, et, dans mon cœur, de toutes mes forces j’ai crié. J’ai appelé. Du haut de mes vingt ans j’ai joué mon va-tout. Comme elle fut terrible la nuit qui a suivi ! Le lendemain, je suis parti faire une longue promenade en forêt. Au retour, légèrement apaisé, je suis retourné dans cette chapelle. Quelques personnes, des jeunes surtout, priaient, devant ce qu’ils appelaient, mot des plus étranges s’il en est, le «saint sacrement ». A leur côté, j’avais l’impression d’être un monstre, un délinquant. Je me suis assis, un peu timide et honteux, j’ai regardé mes pieds, quelques minutes se sont écoulées, et quand j’ai relevé la tête, ma vie soudain a basculé.

En un instant, tout mon être s’est trouvé inondé d’amour.

Tous les raz de marée du monde, les plus beaux cieux, les plus grands couchers de soleil, ne sont pas assez forts pour dire l’amour que j’ai ressenti à ce moment-là. D’un seul coup, j’ai eu la certitude absolue d’être aimé. La certitude que tout, sur Terre et dans l’univers entier, prenait sa source dans l’amour. J’ai senti que cet amour était radical, définitif et inconditionnel. J’ai compris qu’aimer est l’unique sens de la vie, la seule raison qui justifie notre présence sur cette planète. Et j’ai compris aussi que l’amour ne meurt pas, car il porte en lui une dimension sacrée, une part d’éternité qui nous précède et nous dépasse. Bref, à ce moment précis, de façon fulgurante et indélébile, j’ai eu la foi.

Je ne sais pas combien de temps ce moment a duré.

Tout s’est passé de façon extrêmement simple et paisible. Autour de moi, les gens n’ont rien remarqué.

Je suis ressorti de la chapelle.

Dehors il faisait doux.

J’ai senti le feu de bois, la terre humide, le vent du soir sur ma peau, et d’un coup toute la beauté du monde m’a sauté au visage. Alors, ivre de joie, pour la première fois de ma vie, j’ai rendu grâce.

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