Mr Gaga, sur les pas de Ohad Naharin, de Tomey Heymann

Le destin hors-norme d'un chorégraphe intense !

Peu de chorégraphes, au-delà du style qui les distingue des autres créateurs, ont conçu un langage corporel complet et qui devient l’univers dans lequel ils s’expriment. Dans le cas d’Ohad Naharin, c’est encore plus étonnant, puisque Gaga, d’où le titre du film, est moins une codification d’éléments chorégraphiques, qu’une nouvelle manière d’appréhender par le mouvement ses propres faiblesses, ses blocages et ses limites afin bien sûr de les dépasser, de renforcer et dynamiser son corps, et de pouvoir se consacrer entièrement à l’expression artistique sans se sentir contraint physiquement. En quelque sorte, il a créé une pédagogie qui va permettre aux danseurs d’aller au-delà des possibilités dont ils ont conscience et à lui-même d’exiger qu’ils dépassent en permanence leurs limites.

C’est évidemment d’autant plus surprenant qu’Ohad Naharin n’a vraiment commencé à danser qu’à 22 ans, à la Batsheva Dance Company, sans avoir reçu une formation particulière. Sa mère était danseuse, mais il s’était plutôt orienté vers la gymnastique, l’acrobatie et la musique et a passé son service militaire puis la guerre du Kipour dans l’unité de divertissement de l’armée.

Il y a des artistes qui ont un destin hors-norme, dont rien ne semble pouvoir empêcher qu’il se réalise. Il est immédiatement remarqué par Martha Graham, qui avait fondé la compagnie dix ans plutôt avec la baronne Bathseva de Rotschild, et qui, à 80 ans, était considérée comme l’une des fondatrices de la danse contemporaine. Direction New York où il se retrouve à la School of American Ballet – l’école du New York City Ballet, qui se produit en ce moment au Châtelet à Paris – puis à la Julliard School, autre lieu d’excellence pour se propulser vers une carrière de danseur professionnel.

C’est là que l’on mesure la force de caractère d’Ohad Naharin, puisqu’il se retrouve dans un des temples de la danse classique sans en avoir appris les codes depuis l’enfance. Il se retrouve même, hébété, à partager des cours et des répétitions avec Noureev ! Après un cours passage chez Béjart – sa pire année de danseur avoue-t-il – sa carrière se lance définitivement en Israël, où il rencontre sa femme, et aux Etats- Unis. Ils danseront et créeront pour de nombreux chorégraphes américains et il fera ses propres débuts de chorégraphe à la fin des années 1980. En 1990, il retourne dans sa compagnie formatrice à Tel Aviv et en prend la direction. Il en est toujours la figure emblématique.

Un regard qui transperce

Ohad Naharin a une gueule d’acteur et de séducteur, un brin macho. Dès les premières minutes du documentaire, on ressent son goût et son habitude de conduire un groupe, de le pénétrer de ses propres convictions et de ses désirs. Et bien sûr de ne jamais lâcher ses danseurs jusqu’à ce que leur interprétation corresponde à ses souhaits. La scène où il oblige une danseuse à s’écrouler au moins quatre fois de suite jusqu’à ce que sa chute soit un total abandon du corps est particulièrement significative de son emprise. Avec le sourire, sans doute parce que la méthode Gaga, est aussi une recherche de liberté et de plaisir.

Avec le sourire mais avec un regard intense, qui fouille et qui semble chercher au fond du danseur s’il a donné tout son potentiel et s’il peut ou s’il doit aller encore extirper quelque chose.

Le citoyen engagé

Le documentaire vaut bien sûr par la danse et son environnement mais ne néglige pas l’engagement de Ohad Naharin dans la société israélienne. Tout d’abord quand il a vingt ans et qu’il est envoyé sur le front pour distraire les troupes et soutenir leur moral. Mais surtout lorsque pour les 50 ans de l’état d’Israël, il refuse de se produire et menace de démissionner, soutenu par l’ensemble du ballet, car les religieux orthodoxes veulent que les danseurs revêtent des caleçons longs pour le spectacle célébrant cet anniversaire. Il aura gain de cause. Il est aussi un opposant affirmé à la politique actuelle du premier ministre dans le conflit israélo-palestinien, et regrette d’autant plus les fréquentes manifestations anti-israéliennes qui émaillent ses spectacles, car il défend des positions pro-palestiniennes et contre les colonisations.

Et la danse dans tout ça ?

C’est évidemment une merveille ! De fluidité et de puissance ; de sensualité et de violence. Qu’ils soient seuls, en petits groupes ou en grande formation, les danseurs sont habités, mus par l’énergie et la passion qu’Ohad Naharin injecte dans ses créations. Les extraits proposés dans le documentaire dévoilent des chorégraphies extrêmement variées et colorées, qui font d’autant plus regretter de ne pas avoir encore assisté à un de leurs spectacles. Leur dernière apparition est récente et était une première à l’Opéra de Paris, compagnie invitée de la première saison conçue par Benjamin Millepied. Par ailleurs mari de Nathalie Portmann, qui apparaît dans la bande-annonce du documentaire. La soirée fut agitée à l’extérieur ! Espérons que ça ne la dissuade pas de revenir, soit au Théâtre de Chaillot où elle est régulièrement invitée ou au Festival Montpellier Danse qu’elle avait enflammé il y a tout juste un an.

Dernière solution : aller la voir sur place en faisant coup double avec la Kamea Dance Company de Beer-Sheva !

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