LA FILLE INCONNUE de Luc et Jean-Pierre Dardenne

Le poids de la culpabilité

Jenny, jeune médecin généraliste, fatiguée d’une longue journée où elle a enchaîné les patients dans un quartier populaire et où elle doit gérer un étudiant en médecine qui n’arrive pas à contrôler son émotivité face à un cas critique, décide de ne pas ouvrir la porte de son cabinet lorsque la sonnerie résonne longtemps après l’heure de fermeture.

La jeune fille – elle la verra le lendemain sur l’enregistrement de son visiophone tambouriner désespérément à l’entrée – est retrouvée morte sur le quai en face de son immeuble.

Comment surmonter la culpabilité ? Comment vivre avec ce virus qui la ronge jour et nuit même si son entourage et les enquêteurs la dédouanent de toute faute et responsabilité ? Comment faire avec cette impossibilité de revenir en arrière et sur sa réaction d’humeur lorsque son stagiaire se dirige spontanément vers la porte et qu’elle lui ordonne de ne pas y aller compte tenu de l’heure tardive, de la nécessité de soi-même se protéger pour ne pas se laisser déborder par son métier et sa compassion vis a vis des patients et enfin compte tenu de cet acte d’autorité dont l’unique raison est de contrarier cet étudiant mutique qui toute la journée lui a obéi à regret ?

A défaut de pouvoir remonter le temps, Jenny s’engage dans une quête rédemptrice pour au moins offrir une sépulture digne à cette jeune fille qui rapidement se révèle inconnue, la police ne retrouvant ni papier, ni trace la reliant à une famille ou des amis, personne ne semblant s’inquiéter de sa disparition. Elle va alors petit à petit rentrer dans l’intimité de certains de ses patients, découvrir leurs turpitudes cachées, mettre les pieds à ses dépens dans des territoires qu’on lui fera vite comprendre de ne pas explorer, approcher la misère sociale de ce quartier défavorisé.

Les films des frères Dardenne ne sont pas réputés pour leur débauche d’effets spéciaux ni pour leur dramaturgie larmoyante ou des scenarii à rebondissement. Ils sont secs, factuels, vont ausculter et fouiller directement et cliniquement les cœurs et les âmes pour montrer les failles, les forces et les faiblesses des personnages et témoigner de leurs luttes généralement dans un environnement social peu favorable. Dans « La fille inconnue », ils sont allés encore un cran plus loin dans le dénuement, s’approchant du documentaire, faisant penser à « Striptease », cette émission, belge par ailleurs, qui faisait rentrer le spectateur dans le quotidien des invisibles, des gens comme tout le monde. Il n’y a plus grand chose à gratter autour de l’os !

Et pourtant on est happé et l’on ne voit pas défiler les presque deux heures du film, en empathie avec cette jeune femme qui en voulant redonner de la dignité à cette patiente qu’elle n’a pas su sauver, lutte pour pouvoir retrouver l’estime de soi, quitte à coucher sur place pour être disponible jour et nuit et renoncer à un avenir prometteur dans un cabinet réputé des beaux quartiers.

Le thème a immédiatement fait resurgir Julieta de Pedro Almodovar, que je suis allé voir deux fois à une semaine d’intervalle, où la culpabilité ne lâche pas l’héroïne de toute sa vie, d’autant qu’elle affronte plusieurs situations qui font rebondir ce sentiment d’être responsable du malheur des autres et qui la torture à petit feu. Dans des contextes et des styles différents – le film de Pedro Almodovar étant ceci dit particulièrement sobre par rapport à certaines de ses autres oeuvres – on vit intensément auprès de ces femmes cette douleur diffuse qui affleure et qui par moment les empoigne et les enjoint l’une à l’action l’autre au désespoir.

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