TRISTESSES de Anne-Cécile Vandalem

Surprenant, intelligent, créatif … et le message infuse !

Une pièce de théâtre d’une jeune créatrice belge parlant de la montée d’un parti national populiste dans une île perdue au nord du Danemark commençant par le suicide de la mère de la présidente de cette formation. Ah, ça ne vous fait pas envie ? C’est un tort !

La MC2 a instauré cette année un cycle Art et politique dans le quel on retrouve des pièces de théâtre qui ont pour thème la montée du nationalisme, comme Melancholia Europa en janvier qui questionnait la responsabilité des individus dans le succès de l’idéologie fasciste dans les années trente ou cette pièce qui décortique un projet de propagande de la candidate de ce parti de droite extrême. L’ambiance est assez lourde mais en phase avec la poussée des partis nationalistes en Europe et des pronostics des élections dans un certain nombre de pays, dont la France.

Pourtant Anne-Cécile Vandalem qui a écrit, mis en scène et qui joue dans la pièce arrive à captiver le spectateur et même le divertir, tout en réussissant à faire infuser son message.

Plusieurs histoires dans des registres différents

Plutôt que de prendre le spectateur de front en lui assénant un discours militant en continu, la pièce enchevêtre plusieurs récits dans des genres différents. En toile de fond, l’aspect politique qui sous-tend l’ensemble de la pièce, et qui émerge à l’occasion d’une discussion, d’un affrontement familial, ou d’un questionnement sur les raisons de la disparition progressive de la seule usine de l’île et de sa reconversion en studio de cinéma.

S’appuyant sur le suicide inattendu de la mère, la créatrice nous embarque également dans une intrigue policière ; est-ce réellement un suicide ? Si c’était un meurtre, qui sur cette île où ne vivent plus que deux familles, aurait eu pu être poussé à un tel geste ? Pourrait-il y avoir un rapport avec la faillite de l’usine dont le patron n’est autre que le mari de la suicidée, et donc le père de la leader du parti nationaliste ? Quel rôle pourraient avoir joué les deux filles d’une des familles, dont l’une est atteinte de mutisme ?

Enfin, ce drame se nourrit de conflits personnels, à la fois entre les familles et au sein de chacune d’elles, dont on comprend les ressorts au fur et à mesure du déroulement de la pièce, et qui explosent régulièrement, souvent dans des scènes tellement hystériques et délirantes qu’elles en sont comiques. Le spectateur est ainsi promené d’un récit à l’autre, chacun ayant son intérêt propre et suscitant des émotions différentes, de sorte que l’attention est toujours renouvelée, et que l’on ne risque ni l’ennui ni la divagation.

Un personnage brille particulièrement dans le registre de l’agitation frénétique, déclenchant souvent les rires de la salle, au milieu de cette histoire qui a priori de prête pas à la rigolade. Les spectateurs sont d’ailleurs immédiatement mis dans l’ambiance dès le début en assistant à un jeu de société qui réunit père, mère et filles et qui prend rapidement un tour surréaliste.

Une scénographie innovante et captivante

La scène est occupée par trois maisonnettes dont l’une est l’église du village, l’espace libre pouvant être considéré comme la place publique. Celle du centre est surmontée d’un immense écran. Et c’est sur cet écran que l’on assiste au jeu de société qui nous embarque dans l’aventure. Sans dévoiler les effets de surprise ménagé par le dispositif, on alterne sans cesse entre la vision des comédiens sur scène et sur l’écran, où l’on comprend rapidement qu’ils sont filmés en direct. La metteuse en scène a la pédagogie de nous éduquer quelques minutes à cette mécanique, avant d’en tirer pleinement parti, en jouant sur les effets d’entrée et de sortie des maisonnettes ou en nous permettant d’assister à deux scènes simultanément, l’une devant nous et l’autre sur écran. Ce qui renforce la tension dramatique lorsque l’on assiste à un dialogue tout en voyant d’autres personnages préparer leur irruption.

La vidéo a été utilisée depuis des années dans les spectacles de danse, soit enregistrée soit reproduisant ou modifiant la chorégraphie en temps réel. Elle a également enrichi le théâtre en images d’archives pour illustrer le thème de la pièce. Mais ici elle fait partie intégrante du dispositif scénique en offrant au spectateur d’assister au déroulement de l’histoire en plusieurs lieux simultanément, et qui par leur proximité, se répondent l’un à l’autre, ajoutant au dialogue du texte comme un dialogue spatial.

Rendre accessible la culture et la réflexion politique

On entend régulièrement des intellectuels, des politiques, des associatifs, des media plaider pour que la culture ne soit pas réservée à une élite et puisse s’ouvrir au plus grand nombre. Encore faut-il que la forme ne soit pas un repoussoir et qu’avant même que le spectateur potentiel ne se penche sur l’intérêt du fond, il ne tourne les talons de peur de s’ennuyer pendant deux heures car il n’a pas l’éducation ou les codes pour comprendre ce dont on lui parle. C’est tout l’intérêt, et sans doute l’ambition, de cette création qui par ses différents niveaux de récits et les outils de scénographie utilisés permettraient d’accrocher un public large et multiple, chacun pouvant trouver un point d’entrée selon ses repères.

Je dis « permettraient » car il est dommage que la communication autour de cette oeuvre ne mette pas plus en avant sa facilité d’accès et ses multiples facettes, la réservant en conséquence à un public encore trop confidentiel. C’est d’autant plus malheureux que le message véhiculé est d’utilité publique, montrant que sous couvert de respectabilité et de modernité, un tel parti s’apprête à mettre en place des mécanismes de propagande hérités des plus sombres années du fascisme.

Cette pièce mériterait d’être jouée dans les lycées, mériterait que des communes mutualisent leurs efforts, car le dispositif doit effectivement être assez coûteux, pour qu’elle soit vue par le plus grande nombre à la fois pour montrer que le théâtre au 21ème siècle se renouvelle en intriquant de nouveaux media dans sa mécanique interne, et pour sensibiliser les spectateurs aux dangers du nationalisme rampant.

Tristesses de Anne-Cécile Vandalem, dates prévisionelles jusqu'en mai 2018

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