Critique du film Happy End de Michaël Haneke

Fin d’époque

Happy End est un huis-clos tendu au sein d’une famille de la grande bourgeoisie industrielle du Nord de la France dont les derniers rejetons se partagent les tares et les perversions issues d’une dégénérescence due à cette vie en vase-clos et faite de non-dits. Le cœur du film est cette immense demeure bourgeoise abritant le patriarche, Jean-Louis Trintignant, et ses deux enfants, Isabelle Huppert et Mathieu Kassovitz, qui tous deux ont apparemment réussi leur vie professionnelle, l’une reprenant l’entreprise familiale de travaux publics, l’autre étant chef du service de chirurgie de l’hôpital de Lille.

Mais la génération suivante semble avoir du mal à assumer la lignée familiale ! Le fils d’Isabelle Huppert, censé reprendre l’entreprise, n’assume ni ne supporte son rôle de futur dirigeant et la fille de Mathieu Kassovitz, tout juste 13 ans, porte sur la vie un regard distancié et cynique, peut-être rancunier, qui l’amène à mener des expériences troublantes.

Entomolgiste

Michaël Haneke filme ce petit monde comme un scientifique observant un éco-système d’insectes dans un bocal. Il les regarde ce débattre, chacun affrontant ses névroses en les dissimulant tant bien que mal, tout le monde tâchant de faire bonne figure les uns par rapport aux autres, jusqu’à ce que le vernis craquelle et fasse apparaître les tares, les frustrations, les blessures. La tension et le sentiment de malaise qui suintent du film vient du fait que tout se déroule la plupart du temps dans une atmosphère feutrée, chacun gardant son corsetage né de l’éducation et de la bienséance qui sied aux grandes familles bourgeoises. Seul le fils d’Isabelle Huppert explose régulièrement, pour se libérer de la tutelle pesante de sa mère, jusqu’à la scène finale où, malgré tout, elle gérera l’irruption de son fils d’une matière autoritaire et pour le moins … cassante !

Pourtant tous essayent de s’échapper du bocal, c’est à dire de leur vie. L’un par ses extravagances ; l’autre, marié et père d’un enfant en bas âge, en échangeant des messages torrides explicitement sexuels avec une musicienne amie de la famille ; le patriarche en échafaudant régulièrement des scenarii de suicide et sa petite-fille en essayant en permanence, jusqu’à mettre sa vie en danger, de provoquer un minimum d’affection de la part d’un père qui ne pense même pas à l’embrasser au moment du coucher. Seule Isabelle Huppert s’efforce de garder le couvercle fermé sur cette cocotte-minute en ébullition, organisant le service avec le couple marocain qui vit à demeure, comblant les insuffisances professionnelles de son fils, travaillant à la cession, pendant qu’il en est encore temps, de l’entreprise familiale, accueillant la fille de Mathieu Kassovitz sous leur toit après le décès de sa mère.

Une lutte perdue d’avance

Mais plus le film avance, plus il est difficile pour tous de colmater les brèches et les fuites de ce monde qui se fissure et qui les tenait en marge d’une réalité changeante. L’arrivée de migrants dans le repas de fiançailles d’Isabelle Huppert et de son avocat d’affaires anglais, et la manière dont elle la gère, symbolise parfaitement à la fois l’intrusion du présent dans leur univers vieillissant et sclérosé et la résistance compassionnelle qui repousse, mais pour combien de temps, l’affrontement avec le désordre social qui s’étale sous leurs fenêtres.

La dernière scène pousse au paroxysme ce sentiment de perte de contrôle, et que leur forteresse sera inéluctablement engloutie, quels que soient les efforts de plus en plus désespérés qu’il fassent pour éviter sa perte.

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