Rêver l'amour en vol - Petite mort de Jiri Kyliàn

Quand Eros voyage en Tchécoslovaquie, il monte sur scène et nous prend par la main pour nous inviter à l’Opéra de Lyon à la rencontre de six couples de fleurettistes aériens. Par Jean-Noël Lorriaux

Un chorégraphe écrit la danse. Je ne suis pas chorégraphe. Je ne suis qu’un écrivain qui écrit sur la danse. Plus précisément sur un ballet, Petite mort, du chorégraphe tchèque Jiří Kylián, spécialement créé pour le bicentenaire de la mort de Mozart et sur lequel le rideau de l’Opéra de Lyon se lèvera du 19 au 25 avril 2018.

Quand il m’a été demandé pour la Brigade de l’Opéra de Lyon à laquelle j’ai eu la chance, l’honneur et le privilège de participer dans l’intimité magique du dôme de cet Opéra, d’écrire cet article, je me suis longuement demandé comment écrire le corps, son mouvement, celui de deux corps évoluant en couple, ceux de danseurs et ce qu’ils viennent interpréter dans Petite Mort. S’il ne s’agit pas ici de sa sœur la grande mort, la Petite Mort n’en est pas moins intense ni moins vivante.

La science-fiction, les nouvelles, le roman, la poésie émancipatrice me sont des écritures littéraires plus familières que celle d’un ballet et de l’éloquence de la danse. Oui, l’éloquence. Car le corps danse, vit et ici tourbillonne mais vient nous parler aussi d’une rencontre. Rencontre physique. Rencontre émotionnelle. Rencontre sensorielle. Magie artistique. Magie poétique. Mais après tout, un ballet n’est-il pas aussi poésie ? Je n’ai pas le talent de Cocteau mais pour le citer, j’essaierai donc d’être choré-poète, en tout cas celui de cette rencontre avec ce ballet et de sa magie.

Les voilà, ces poètes de la danse et leur corps dansant. Ici, la parole est muette. Mais est-elle nécessaire ? C’est le corps qui parle en lieu et place des mots et ce sont les mouvements des danseurs qui viennent signifier le monde. Leurs corps se regardent, s’observent mais eux, ces danseurs, où sont-ils ? Ils vont bien au-delà d’un simple regard et semblent à la fois ici et transportés dans un autre monde. Intérieur celui-ci. Comme si le monde extérieur n’était plus. C’est le miroir de l’âme qui s’exprime chez chacun des partenaires. On dirait deux inconnus qui cherchent à se découvrir. Les mouvements se font aussi rapides qu’exaltés et se tendent et se relâchent. L’un se penche, l’autre le suit comme pour ne pas le perdre. Leurs corps paraissent attirés l’un vers l’autre sans pouvoir s’y opposer pour se rapprocher doucement comme pour mieux se connaître.

Ils s’effleurent, se découvrent, semblent presque se caresser puis d’un seul coup se repoussent violemment pour se rapprocher tendrement à nouveau. Un pas de l’un avance alors et le bras de l’autre s’aligne avec une précision chorégraphique sans fausse note comme pour enlacer ce partenaire à la fois autre et familier.

Les voilà, après s’être apprivoisés, qui s’élancent au diapason des concertos n°21 et 23 du compositeur autrichien avec énergie dans des arabesques physiques et scéniques avec un rythme à l’unisson presque symbiotique. Et le rythme c’est un peu comme un cœur qui bat. Un cœur qui cadence la vie, cette vie si fragile elle-même mise en mouvement par les six couples du ballet et qui ne tient parfois qu’à une main qui, pour ne pas la perdre, la retient. Nous voilà nous-mêmes retenus, presque en tension, en tant que spectateurs à cette main, à cette vie qui danse devant nous et qui nous fait retenir notre respiration pendant son envol.

Une pause s’installe. Silence. Ils semblent commander à Chronos d’arrêter le temps. Les voilà suspendus dans les airs le temps d’un battement, attirés l’un vers l’autre dans un porté amniotique qui dessine alors, dans un érotisme aérien, une étreinte où chacun s’agrippe avant de s’abandonner à l’autre. Les corps se détendent alors pour laisser apparaître sur leur visage un sourire reposé dont la lumière ne reflète que l’extase de cette rencontre chorégraphique.

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