Abandonnée

Pour son premier long-métrage, Nacho Cerda prolonge avec efficacité le beau travail mené par l'Espagne sur les codes du film fantastique, y ajoutant une portée discrètement subversive. Christophe Chabert

Grâce au boulot mené en solitaire mais avec ténacité par Filmax, le cinéma fantastique espagnol est aujourd'hui un des plus vivants du monde. Certes, ce n'est pas en scrutant les affiches des cinémas hexagonaux que l'on va s'en rendre compte : ni l'excellent Fragile de Jaume Balaguero, ni le correct Backwoods de Koldo Serra n'ont eu les honneurs d'une sortie en salles... Abandonnée, premier long réalisé par Nacho Cerda, a eu on ne sait trop pourquoi plus de chance.

Le film démarre sur une séquence choc : dans un coin reculé de l'URSS, une famille de paysans voit atterrir sur le patio de sa datcha un camion conduit par une jeune femme agonisante, tentant de protéger sa progéniture des mains d'un criminel mystérieux. 40 ans plus tard, une des gamines rescapées, Anna, devenue actrice célèbre en Amérique débarque à Moscou pour découvrir le secret de ses racines et de son passé.

Un roman russe

Passé ce prologue, Abandonnée travaille au corps les clichés et les codes du genre, jusqu'à en faire sortir une dimension assez abstraite, affirmant sur le tard un propos authentiquement subversif. Une fois débarquée sur une île mystérieuse où s'épanouit une forêt touffue et menaçante, Anna tombe nez à nez avec son double, aux yeux révulsés et au crâne ensanglanté, puis sur un homme qui se présente comme son frère jumeau. Sa première visite dans cette maison hantée se fait avec de lents travellings dans les couloirs menaçants, quelques ouvertures de portes où il n'y a rien derrière et divers reflets croisés fugitivement dans les miroirs. Quant au camion, évidemment, il ne démarre pas quand on a besoin de se tirer fissa...

Cerda, néanmoins, crée la tension par une mise en scène brillante, visuellement inspirée, baignée dans les teintes verdâtres et putrides d'une photo assez impressionnante. Surtout, à force de faire tourner en boucle les figures imposées du film d'horreur, il leur redonne du sens : la maison se met à vivre, les doubles sont des âmes en peine, et le passé se superpose au présent comme une image enfouie que la projection lumineuse se charge de faire ressurgir au premier plan.

Autant dire qu'Abandonnée est un film qui utilise tous les moyens du cinéma pour susciter de la terreur, respectueux de son matériau mais désireux de le faire avancer vers une nouvelle dimension. Derrière le film d'horreur, le propos est simple : ceux qui ne soldent pas leur passé sont condamnés à le revivre. Nacho Cerda impose même une idée qui fait la différence : la famille, décomposée plus que recomposée, y devient le dernier cercle de l'enfer. La morale n'est vraiment pas sauve à la fin : mieux vaut vivre en orphelin heureux que connaître l'horreur de ses origines... Dans un pays encore chrétien comme l'Espagne, on mesure l'ampleur transgressive d'un tel propos !

Abandonnée
De Nacho Cerda (Esp, 1h36) avec Anastasia Hille, Karel Roden...

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