Sideways

Étrange contre-pied à son précédent Monsieur Schmidt, le quatrième film d'Alexander Payne invente un no-style à la hauteur de ses personnages, deux anti-héros pathétiques et attachants. Christophe Chabert

L'accueil enthousiaste reçu par Sideways aux États-Unis et les louanges adressées à son réalisateur Alexander Payne pourront paraître démesurés. Car c'est bien sa mesure qui fait le prix du film : Sideways s'attache à suivre le trajet effectué par un écrivain raté et dépressif et un acteur de sitcom déclassé, en virée dans les vignes californiennes. L'acteur enterre sa vie de garçon pendant que l'écrivain tente d'enterrer le fantôme de son ex. Ces deux anti-héros ne sont pas plus glorieux que les personnages des films précédents d'Alexander Payne, mais le cinéaste semble avoir rengainé les armes de la charge satyrique qui l'avaient conduit auparavant du meilleur (L'Arriviste) au pire (Monsieur Schmidt). Autrement dit, Sideways est un film qui croit absolument dans l'humanité, même dans ses égarements et ses lâchetés.

Ivres de vin et de littérature

Pour cela, il faut prendre son temps. Le film le souligne à de nombreuse reprises : dans l'inscription des jours à l'écran, mais surtout dans la durée parfois sidérante des scènes. La plus belle de toute est celle où, tandis que Jack (le beau gosse) va tirer sa crampe avec la jolie Asiatique, Miles (le frustré) tape la discute avec Maya, quadra timide et blessée. On parle de vin, d'écriture, on ébauche un mouvement de tendresse... Mais c'est surtout leur mal-être respectif qui flotte dans l'air et qui éclate dans chaque silence embarrassé. Cette suspension du temps et les sentiments qui en découlent, Payne en offre une jolie métaphore lors des scènes de dégustation œnologique : Miles est celui qui connaît le rituel et sa longueur, tandis que Jack, Californien pataud, se jette sur le verre sans considération pour son contenu ; la transmission du rite devient la marque de l'amitié qui les lie. Sideways reproduit la même sensation : c'est quand il s'attarde à contempler ses personnages pour l'amour du geste qu'il devient touchant. Que Payne ait choisi une sorte de no-style (image granuleuse et cadres standards) pour filmer ces touts petits riens de l'existence traduit chez lui une modestie nouvelle, un changement dans la continuité : on est toujours face à l'Amérique profonde, mais cette fois dans un vrai face-à-face. Peut-être aussi parce que le cinéaste a trouvé le casting parfait pour incarner ces rebus sympas de l'Amérique white trash : Thomas Haden Church et son look de chanteur country décati, Virginia Madsen, revenue de ses rôles de beauté glacée et assumant avec un aplomb remarquable un personnage de femme mûre et fragile. Mais c'est surtout la composition de Paul Giamatti qui force le respect : il l'avait prouvé dans American Splendor, il le confirme ici, la panoplie du loser blasé cachant derrière son cynisme un profond romantisme lui va comme un gant. C'est ce qui s'appelle un acteur subtil. Sideways lui doit beaucoup.

Sideways

D'Alexander Payne (EU, 2h05) avec Paul Giamatti, Thomas Haden Church, Virginia Madsen...

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