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Zodiac

Avec "Zodiac", qui retrace l'enquête pour démasquer, sans succès, un tueur en série mythique des années 70, David Fincher élargit l'horizon de son cinéma et signe un film dont la maîtrise souveraine cache des montagnes de doutes. Christophe Chabert

La reprise des logos vintage de la Warner et de la Paramount en ouverture de Zodiac, plus trompe-l'œil que clin d'œil, réjouira le cinéphile. Elle évoque certes l'époque où se situe l'action du film (de 1969 à 1980), mais souligne surtout l'horizon référentiel sur lequel David Fincher compte déployer sa mise en scène : le cinéma des 70's, cet âge d'or que les grands artistes hollywoodiens (de Spielberg à Scorsese et Soderbergh, et même Lucas !), épuisés par les normes en vigueur dans les blockbusters actuels, ne cessent de célébrer. Si David Fincher est celui qui touche au plus près la vérité de ce cinéma-là par son absence de compromis et son désir de faire du divertissement adulte et intelligent, il propose à travers Zodiac un film très contemporain, rempli d'audaces narratives, visuelles et théoriques que son apparent classicisme ne fait que dissimuler.

Preuves à l'appui

Zodiac, c'est le nom que s'est donné un criminel qui commet, pendant plusieurs années, une série de crimes qu'il prend soin ensuite de commanditer à travers des lettres et des appels, à la presse ou à la police. Il ne sera jamais officiellement démasqué, et seule l'enquête menée sur le tard par un ancien dessinateur du San Francisco chronicle permettra d'y voir enfin clair dans cette énigme. Zodiac, le film, suit le même mouvement : d'abord la reconstitution des crimes (un couple dans une voiture, un autre au bord d'un lac, un chauffeur de taxi), puis les diverses tentatives d'élucidation conduites respectivement par deux flics pugnaces (dont un très impressionnant Mark Ruffalo) et un reporter alcoolique et camé (un rôle à la démesure de Robert Downey Jr). Le scénario, brillant, signé James Vanderbilt, entrecroise avec une élégance rare les deux enquêtes, parfois complémentaires, parfois contradictoires, mais toujours rigoureusement conduites en slalomant à travers les embûches tendues par l'administration et par la hiérarchie. Si le Zodiac touche du doigt le crime parfait, ceux qui le poursuivent font eux aussi preuve d'un professionnalisme à toute épreuve, et Fincher relaie ce sérieux-là par une mise en scène dont la maîtrise et le brio sont sans équivalent aujourd'hui. Zodiac est, au diapason de ses personnages, un film de la preuve tangible, du détail concret, de la pensée en actes et de la parole d'experts, qui cite sans arrêt ses sources, et ce jusqu'aux enregistrements de la vraie voix du Zodiac lors de ses «communiqués» aux autorités. Une séquence géniale le souligne, lorsque tous les protagonistes sont soudain réunis par les lettres et rébus du tueur s'inscrivant en 3D à l'écran. L'obsession de percer le mystère les connecte par-delà leur profession et leur situation, et c'est bien le cinéaste qui, par sa seule mise en scène, établit le contact, à son tour obnubilé par la traque de ce meurtrier insaisissable.

Le film était presque parfait

Mais les crimes du Zodiac sont-ils si parfaits ? Pas vraiment, car il laisse derrière lui un faisceau d'indices, volontaires ou non, qui devraient permettre de l'identifier. Alors, qu'est-ce qui fait dérailler cette machine judiciaire et cinématographique a priori à toute épreuve ? Ce qu'il faut bien appeler le facteur humain... La drogue pour le journaliste Paul Avery, une trop grande confiance en soi pour le détective David Toschi, l'alcool pour un vieux graphologue... De fait, aux deux tiers du film, Fincher aussi doit l'admettre : son dispositif si bien huilé, si jouissif, conduit à un terrible écran noir, anéanti par la toute puissance d'un système pesant et rouillé. Non, ils ne sauront pas, et il y a de fortes chances que nous non plus... Un autre film peut alors commencer sur les images d'un building gigantesque qui se construit en accéléré à l'écran. Ce film, c'est Robert Graysmith qui le prend en charge, le dessinateur timide que ses collègues disent «attardé» (Jake Gyllenhaal, bien redescendu de Brokeback Mountain). Quand bascule-t-il vraiment dans l'obsession ? Lors d'un rendez-vous galant avec une jeune femme (Chloé Sevigny, à qui cette simple scène suffit pour prouver son talent), qu'il fait foirer en partie en pensant aux risques que prend dans le même temps son collègue sur la piste du tueur. Pour reconstituer le puzzle, il devra des années plus tard hypothéquer cette vie privée-là, tout comme Fincher devra baisser les armes de sa maîtrise et faire entrer dans le récit une marge d'incertitude, de chaos et de détresse. L'énergie du film, sa santé insolente (chaque ligne de dialogue est jubilatoire, chaque plan est admirable, chaque acteur donne le meilleur de lui-même) est donc elle aussi atteinte par une bile noire, poisseuse, angoissée, qui la menace jusqu'à la toute dernière image. C'est là où Zodiac est vraiment un grand film. Haletant, tendu, et pourtant souvent drôle, il n'hésite pas à se remettre en question pour toucher quelque chose de beaucoup plus fort et métaphysique, déjà au cœur d'autres œuvres du cinéaste : l'idée que la vérité n'est qu'une construction, et que derrière toute certitude, il y a un volcan de doutes qui risquent de la mettre en pièce. Seule compte alors la foi dans le cinéma. Mais pas celui qui tord la fiction pour rassurer le spectateur face à une réalité anxiogène - le film oppose ainsi ses impasses insolubles à la justice expéditive «idéale» de L'Inspecteur Harry ; plutôt ce petit sigle invisible caché au début de chaque bobine, qui devient à la fois la signature du tueur et celle, extrêmement subtile, d'un metteur en scène qui assume un héritage cinéphile pour mieux s'inscrire à la pointe du cinéma d'aujourd'hui.

Zodiac
de David Fincher (ÉU, 2h38) avec Jake Gyllenhaal, Mark Ruffalo, Elias Koteas, Chloe Sevigny...

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