Fini de rire ?

CINEMA/ Si ça continue, il faudra que ça cesse. Sous-écrite, surjouée, la comédie pas drôle à la française n'en finit plus de polluer les écrans semaine après semaine. À l'occasion de la sortie de La Doublure, petit film d'un grand maître, mini-guide pratique pour repérer les tendances et les mécanismes de la comédie frelatée, avec quelques espoirs pour en sortir. Luc Hernandez

Cette semaine, c'est La Doublure. Bientôt ce sera Enfermés dehors de Dupontel, OSS 117 avec Dujardin, Camping avec Dubosc ou Quatre étoiles avec José Garcia. Les semaines précédentes, c'étaient Les Célibataires ou Toi et moi, déjà oubliés, avec respectivement Guillaume et Julie Depardieu. La comédie française est partout, et pourtant, le public, lui, à l'exception des Bronzés 3, troupe du Splendide oblige, n'est pas toujours au rendez-vous. Olé avec Depardieu et Gad Elmaleh, Le Cactus avec Cornillac, L'Anniversaire ou Il ne faut jurer de rien avec Dujardin et Jugnot, autant de gros budgets promotionnels avec méga-stars à la clé, autant de bides. La faute à quoi ? Sans doute à la qualité des films eux-mêmes. Car rares sont les comédies qui prennent le temps de construire des situations, de composer des personnages ou d'écrire des dialogues qui ressemblent à autre chose qu'à des mots d'auteur galvaudés. Si la comédie américaine multiplie les suites (Treize à la douzaine 2, Big mamma 2 pour ne citer que les plus récentes...), la comédie française, elle, en panne d'écriture (lire l'interview de Veber ci-dessous) passe son temps à recycler. La recette avariée en est simple : piquer l'idée d'un truc qui marche (sketch, émission, BD...) à défaut d'écrire un scénario, payer grassement une ou deux vedettes pour attirer le chaland et en voiture Simone. Alors histoire de ne pas mourir idiot à défaut de rire un peu moins con, pour toi public, un petit rappel de l'étendue du gâchis.Télé la questionPremière vérue à nous empêcher de prendre notre pied : le recyclage télévisuel, de loin le plus envahissant. Depuis le succès des Nuls et de Chabat, puis de José Garcia, tout le monde veut faire pareil, sans toujours en avoir le talent. Du petit au grand écran, on recycle tout : les émissions (Caméra café de Solo et Bolloch devient Espace détente, le Morning Live devient Les Dix commandements, Absolument fabuleux est adapté par Gabriel Aghion...) ; les vedettes (Alexandra Lamy dans Au suivant !, bientôt Shirley et Dino, les comparses de Patrick Sébastien, et évidemment Jean Dujardin, bon acteur essoré dans d'aussi mauvais films que L'Amour aux trousses, Mariages ou l'indétrônable Il ne faut jurer de rien) ; les sketches enfin, que ce soit ceux de Kad et Olivier sur Comédie, ceux de Brice de Nice ou de Chouchou. Le résultat est à peu près toujours le même : des films à saynètes formatés pour le zapping télé qui peuvent faire rire le temps d'une bande-annonce mais ne tiennent jamais vraiment la longueur d'un long métrage. Deuxième recyclage : la BD, en tentant, en vain, d'exploiter le filon depuis les 14 millions d'entrées d'Astérix et Cléopâtre. Les Dalton avec Eric et Ramzy, Iznogoud de l'exécrable Patrick Braoudé et le tour est déjoué : à l'arrivée, autant d'échecs publics qu'artistiques.Troisième recyclage, le film de beauf, genre bien français hérité des Bronzés. Ma femme s'appelle Maurice, L'Incruste avec Titof, Au secours, j'ai trente ans de Marie-Anne Chazel ou Jet Set 1&2 de Fabien Onteniente font tous le portrait condescendant de personnages trempés dans leur médiocrité. Avec une variante rurale de la beaufitude : la potée nostalgique, qui pour quelque réussite comme Les Enfants du marais, traîne aussi son lot de navets égarés dans les champs : Camping à la ferme ou, horreur absolue, Albert est méchant avec Serrault et Clavier. Ajoutez un genre à part, pas beaucoup plus réjouissant, la daube autoproclamée, celle par exemple de Baffie et de ses Clés de bagnole, et vous obtenez le tableau désolant de films qui ne mériteraient, au mieux, qu'un passage télé.Crise de productionLa bonne nouvelle, c'est que le public en a assez de se faire berner par des promotions mensongères et ne se déplace plus sur le seul nom d'une vedette. La mauvaise, c'est que le système français de production de comédies, et particulièrement celles à gros budget, reste totalement vicié. Laurent Sivot a été directeur de production sur plusieurs comédies, comme Mensonges et trahisons de Laurent Tirard avec Edouard Baer. Il a refusé de l'être sur Camping de Fabien Onteniente avec Franck Dubosc, considérant la production "aberrante" et la "nullité artistique" du réalisateur. Il explique ce qui constitue pour lui "le problème économique français" : "Trop souvent, le financement n'est plus lié principalement au projet du film. Le budget des salaires des comédiens principaux a remplacé le budget du scénario. Les producteurs sont à genoux devant quelques stars considérées comme rentables. Les comédiens connus ont des contacts privilégiés, ils les utilisent. Et bien évidemment, on ne donne qu'aux riches. Les financiers ne misent que sur les gens qu'ils connaissent, c'est-à-dire une vingtaine de personnes qu'on déclare "bankable". Les chaînes de télévision et les agents des comédiens, qui entretiennent les enchères, ont une grande responsabilité dans cette fuite en avant."La relèveDu coup, la comédie dite populaire ne se résume souvent plus qu'à un caprice de stars, tournée n'importe comment et ne reposant que sur la performance d'acteurs en train de faire n'importe quoi, comme Double Zéro avec Eric & Ramzy ou Incontrôlable avec Michaël Youn. Résultat : un mauvais film de plus qui dégoûte d'aller payer sa place au cinéma. Le tort est profond, et la production de comédie en France se réduit trop souvent à une impasse. Soit il s'agit d'un gros budget qui passe dans les salaires en oubliant le scénario, soit il s'agit d'une petite production bien écrite mais sans vedette "bankable" et elle a du coup beaucoup de mal à se monter. Heureusement, quelques auteurs-réalisateurs, à la fois soucieux de spectacle et de qualité, commencent malgré tout à voir le jour : Laurent Tirard qui tourne en ce moment Molière avec Romain Duris, Pierre-François Martin-Laval des Robins des bois, auteur d'Essaye-moi, comédie romantique joliment fantaisiste, Philippe Harel qui prépare une éventuelle suite aux Randonneurs et les francs-tireurs que sont Valérie Lemercier ou Albert Dupontel. À côté de valeurs sûres comme Jugnot, Blanc, Balasko, Salvadori (Les Apprentis) ou les Bacri-Jaoui, ils augurent d'un avenir plus élastique pour les zygomatiques, à condition que le système de production sache se réformer. Et prouvent que la meilleure solution pour choisir une comédie réussie, c'est encore d'aller voir celles qui sont tirées d'un scénario original.

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