Philippe Harel

Interview / Philippe Harel, cinéaste, met en perspective ses doutes et ses difficultés avec le sourire dans Tu vas rire, mais je te quitte. Propos recueillis par Luc Hernandez

Après Tristan, vous revenez avec une comédie alors que vous deviez tourner l'adaptation des Particules élémentaires de Houellebecq. Qu'en est-il du projet ?Philippe Harel : C'est un projet abandonné. Aucune chaîne de télévision n'a voulu participer. Houellebecq devait aussi lui-même adapter Plateforme, qui n'a pas abouti non plus. Pourtant, il y a plus d'un producteur pour faire un film de Houellebecq, mais ensuite ils se retrouvent tous confrontés aux problèmes de financement. Il n'y a plus de producteurs qui puissent se passer de l'aval des chaînes de télé, du coup, aujourd'hui, en plus des réalisateurs de commande, il y a des producteurs de commande. Ils produisent ce que les chaînes leur demandent. Et les télévisions veulent du divertissement, surtout pas de pensée.Quels sont les scènes ou les thèmes de Houellebecq qui coinçaient avec les producteurs ?Il y a les 20 minutes de camping naturiste. Mais c'est surtout le discours de la déchéance humaine qui pose problème. Ce serait intéressant de se poser un instant la question de savoir pourquoi. Du trash vide, on peut en produire. Mais quand il y a de la pensée derrière, ça dérange. La télévision sert aussi d'aspirine. Si c'est un trash qui d'un seul coup nous concerne, nous regarde, alors ce n'est plus supportable. J'ai été très perturbé que le film ne se fasse pas. Tu vas rire, mais je te quitte coûte plus cher que Les Particules élémentaires mais il s'est monté en dix minutes ! Faire une comédie, c'était une façon pour moi de ne pas tomber dans la dépression.Du coup, dans Tu vas rire, mais je te quitte, à travers le portrait d'une comédienne en galère, vous tournez en dérision le monde du cinéma...Ce qui m'intéressait, c'est que toutes les étapes de la fabrication d'un film soient évoquées, du casting jusqu'aux avant-premières. À force d'être dans le cinéma, on se rend compte des automatismes de distribution. L'affiche d'une comédie, c'est systématiquement du rouge sur fond blanc. Sur le tournage, il y avait des gens qui croyaient que Les Hommes préfèrent ma femme était un film qui existe ! J'aurais pu facilement monter ce film-là rien qu'avec le titre et Poelvoorde [qui fait une apparition dans le film, ndlr] !" "Faire une comédie, c'était une façon pour moi de ne pas tomber dans la dépression.""Jusqu'à quel point vouliez-vous faire une satire ? La scène où Elise passe un casting pour jouer une pièce à Avignon et se retrouve scandalisée de ne pas être payée peut se lire comme une charge contre un certain théâtre...Je voulais qu'on puisse rire de chaque situation, et celle-là fait particulièrement tâche dans le film, mais je tenais à ce que tout reste crédible, qu'il y ait toujours une qualité d'observation. Le comédien qui joue le metteur en scène de théâtre dans cette scène, par exemple, est lui aussi metteur en scène. Au début, j'avais pensé prendre un extrait de Goldoni, mais lui trouvait Heiner Muller bien plus représentatif de l'intelligentsia du théâtre. Du coup, j'ai pris Muller. Montez Muller, et vous êtes sûr d'obtenir une subvention !Elise aussi est représentative à sa façon : elle fait partie de cette génération qui désire ce qu'elle n'a pas sans vraiment rien faire pour l'obtenir...Oui, c'est un personnage qui n'est pas très cohérent mais qui est très représentatif. Elle tire partie de son capital beauté. Elle se vend comme blonde mais elle voudrait être autre chose. Elle est pleine de contradictions. Ce qu'elle montre d'elle contredit ce qu'elle veut être. Elle manque vraiment de rigueur ! Dans sa vie sentimentale, c'est la même chose. Elle agit comme si elle allait chercher l'amour de sa vie dans une boîte de nuit. Elle a peu de chance de le trouver ! Elle est représentative de l'état d'esprit de nos sociétés en cela qu'elle veut que son tour arrive. Mais le mérite n'est pas vraiment à l'ordre du jour...Comment avez-vous choisi Judith Godrèche ?J'avais une image d'elle qui ne convenait pas au rôle. Mais je n'ai pas trouvé de meilleure solution. Elle n'a pas forcément un capital de sympathie énorme mais c'est ce qui convenait bien au final. Ce dont elle pouvait souffrir en tant que comédienne correspondait au rôle.Les actrices se préservent un peu trop, elles préservent leur image. Judith aurait pu aller plus loin dans le burlesque. J'avais imaginé un personnage plus destroy au départ. Mais je n'ai pas trouvé de comédienne qui puisse correspondre à cet excès. En même temps, elle avait peut-être raison... C'est comme les chevaux les comédiens, il faut leur donner la direction en même temps que la liberté. Il faut les respecter, sinon ils se braquent.

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