À bord du Darjeeling Limited

Après «La Vie aquatique», Wes Anderson raffine encore son art de la comédie pince-sans-rire avec un film maîtrisé, libre et touchant sous influence manifeste de la Nouvelle Vague. Christophe Chabert

Surprise ! En première partie d’À bord du Darjeeling Limited, vous verrez un petit court-métrage intitulé Hôtel Chevalier, également réalisé par Wes Anderson. Soit une chambre d’hôtel parisien où un homme mutique et maniaque (Jason Schwartzman, qui n’avait pas vu son talent comique si bien servi depuis Rushmore du même Anderson) attend une femme (Natalie Portman, simplement sublime).
On peut considérer ce film bref et éclatant comme le sommet provisoire de la carrière de Wes Anderson : le décor se prête à son jeu favori, le plan de coupe latéral où l’on observe l’action comme si on regardait une maison de poupée ou une scène de théâtre.
L’utilisation répétée d’un tube ringard, les déplacements chorégraphiés des acteurs, le recours au ralenti (a-t-on déjà écrit que les ralentis de Wes Anderson sont les plus beaux du cinéma mondial ?) et la mélancolie érotique qui se dégage de l’ensemble donnent à cette miniature son charme irrésistible.Mother India
Cet «avant programme» n’est pas sans rapport avec le «grand» film qui va suivre. Parce que le personnage principal du court devient un des trois héros du long mais surtout car Hôtel Chevalier respire à plein nez l’influence de la Nouvelle Vague française, influence qui se retrouve en filigrane dans Darjeeling Limited, où la majeure partie de l’action se déroule un train sillonnant l’Inde.
On y voit trois frères en bisbille : l’un enrubanné après un étrange accident (Owen Wilson), l’autre parano (Adrien Brody, qui réussit parfaitement son entrée dans le cinéma d’Anderson) et le dernier se rêvant en dragueur de wagon-lit (Schwartzman, toujours génial).
Le film, sur les rails de leur voyage spirituel, avance selon une liberté de ton qui se marie sans difficulté avec une mise en scène précise et maîtrisée. Les névroses des personnages donnent lieu à des ballets de corps déglingués et des gags pince-sans-rire impeccablement dosés.
Peu à peu, Anderson cherche une harmonie dans cette suite de dissonances et de dissensions ; ces êtres engoncés dans le ressentiment, prisonniers de l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et de l’idée qu’ils se font des autres, vont devoir sortir de leur cabine, laisser leurs valises derrière eux, aller vers l’ailleurs tout en retrouvant leurs racines (un flash-back surprenant à New York, une magnifique rencontre avec Angelica Huston).
Anderson accompagne par sa mise en scène le trajet de ses personnages jusqu’à cette scène sublime où ils mettront leur vie en danger pour sauver celle d’un enfant indien, séquence réaliste dans une œuvre à la théâtralité revendiquée.
Sans renouveler sa surface, brillante, ni ses thèmes — le deuil, la filiation, la fratrie… Anderson apporte ainsi quelque chose de neuf à son cinéma : un surcroît d’humanisme et de profondeur.A bord du Darjeeling Limited. de Wes Anderson (EU, 1h47) avec Owen Wilson, Adrien Brody, Jason Schwartzman…

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