«Avec subtilité et discrétion»

Tomas Alfredson, réalisateur de Morse, sublime film de vampires suédois, angoissant et émouvant, contemplatif et envoûtant. Propos recueillis et traduits par Christophe Chabert

Petit Bulletin : Dans combien de pays "Morse" est-il sorti ?

Tomas Alfredson : À ce que j’en sais, il a été vendu dans 50 pays environ. Et il est sorti dans quatre pays scandinaves, aux États-Unis, au Canada, en Italie — une grosse sortie en Italie ! Et bientôt il va sortir au Benelux, en Espagne, en Corée et en Australie. Il voyage beaucoup !

Êtes-vous surpris par l’enthousiasme qu’il provoque ?

Oui, bien sûr. Vous ne pensez jamais à ça en cours de production. Les films suédois ne voyagent pas beaucoup à cause de la langue, mais aussi parce que la qualité n’a pas été au rendez-vous ces dernières années. En tout cas, cela me fait drôle !

C’est un film très suédois, dans ses décors, ses atmosphères, sa lenteur. Ce n’est pas exactement le prototype d’un film exportable…

Oui, cela démontre cette étrange équation : plus vous êtes local, plus vous êtes universel. L’histoire en elle-même est universelle, elle pourrait se dérouler dans n’importe quel pays, à n’importe quelle époque. Seule l’imagerie est typiquement suédoise.

Quand vous avez commencé à travailler sur le film, votre intérêt portait-il principalement sur la relecture du genre ou sur la relation entre Eli et Oskar ?

C’était assez encourageant de faire un film d’horreur en Suède, car il n’y en avait jamais eu avant ! Tout le monde disait que c’était le moment de le faire, mais personne n’avait le courage. Les réalisateurs avaient peur de faire un mauvais film d’horreur, ce qui est toujours embarrassant. C’est comme faire une comédie pas drôle ! Cela tenait selon moi au fait de trouver un univers crédible. Je ne sais pourquoi, mais le contexte social réaliste de Morse a fait que je me suis mis à y croire. Il est bon d’avoir un monde de fiction avec ses propres limites. S’il n’y en a pas, tout peut arriver et à mon sens, cela perd son intérêt. La quotidienneté de l’environnement dans le film était une limite. Mais je n’avais pas d’expérience du genre auparavant, je n’avais tourné presque que des comédies…

Le fait de situer le film dans les années 80 vous a-t-il permis de le rendre plus abstrait ?

Il aurait pu être contemporain, mais le livre dont le film est tiré se passait à cette époque, et cela donnait une ambiance spéciale. La Suède était très différente de ce qu’elle est maintenant. Vous savez, ce genre d’histoire devient tellement fragile si on l’éclaire trop. Par exemple : pourquoi la police n’intervient pas ? Pourquoi le vampire ne va pas dans un hôpital voler une poche de sang ? Ce type de réactions, venant de spectateurs très critiques, aurait pu la mettre en pièces. La raconter dans un passé récent rendait les choses plus faciles, pour je ne sais quelle raison…

Était-ce une manière de mettre à distance des éléments technologiques qui auraient pu briser les codes de la mythologie du vampire ?

C’est vrai. Nous avons eu une approche analogue dans notre manière de réaliser le film. Il n’y a pas plus de 17 effets numériques, et on ne les voit pas vraiment. Beaucoup de réalisateurs qui utilisent les effets spéciaux ont tendance à exagérer le rendu à l’écran. Peu usent de cette technologie avec subtilité et discrétion. C’était clairement mon ambition dès le départ.

Dans le film, Eli répète à plusieurs reprises : «M’aimerais-tu aussi si je n’étais pas une fille ?» Il y a une évidente polysémie dans cette réplique…

Dans le livre, le vampire est un garçon qui a été castré deux cents ans auparavant, devenu androgyne depuis. J’ai pensé que si nous parlions de ça dans le film, il aurait pu passer pour un jeune gay, et ce n’était pas la manière la plus appropriée pour aborder le sujet. Nous l’avons donc suggéré vaguement, en laissant le public décider par lui-même. J’ai aussi essayé de faire le film le plus asexué possible, car cela parle d’un amour innocent, d’avant la sexualité.

Le lien qui s’établit entre eux est de l’ordre du pacte d’amitié…

Elle est tout ce qu’il a besoin d’être. Elle ne ment jamais, elle est forte, elle est courageuse. Il devient ami avec les manques à l’intérieur de lui-même.

Dans les films de vampire classique, c’est le vampire qui prend quelque chose chez sa «victime» ; dans Morse, c’est l’inverse…

Oui, il tire quelque chose d’elle. Les histoires d’enfants souffre-douleurs les montrent comme des gamins tristes, seuls, qui finalement répliquent et se vengent. C’est utopique : ils sont trop faibles et trop timides pour se battre. Ce qui arrive à ce genre d’enfants, c’est une colère qui grandit mais qui ne s’extériorise jamais. Dans Morse, Oskar ne parle ni à sa mère, ni à son père, ni à ses professeurs. Il transporte cette colère comme un fardeau. On peut voir le vampire comme une projection de cette colère.

Les deux acteurs étaient-ils proches dans la vie de leurs personnages ?

Je ne crois pas. Quand vous choisissez des acteurs enfants pour porter l’intégralité d’un film, vous devez faire très attention à ce qu’ils aient une vie familiale stable. En revanche, moi, j’ai eu beaucoup de problèmes lorsque j’étais enfant, ce qui m’a permis de m’identifier aux personnages. Et j’ai discuté avec les acteurs de mon expérience.

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