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Un tir dans la tête

Jaime Rosales radicalise encore son cinéma après le puissant La Soledad pour ce film-limite, sans dialogue et sans intrigue mais pas sans mise en scène, pour le meilleur ou pour le pire. Christophe Chabert

Jaime Rosales avait, il y a deux ans, fait la nique au méga-succès du cinéma espagnol en remportant tous les Goyas (les Césars locaux) avec La Soledad, film fort mais aussi très contemporain. Dans la foulée, il a réalisé Un tir dans la tête, qui va beaucoup plus loin, et laissera plus d’un spectateur sur le carreau — ce qui n’est ni une qualité, ni un défaut, juste un constat évident. Il faudra ainsi attendre la soixantième minute du film pour qu’il s’y passe vraiment quelque chose, un événement qui viendra lui donner un sens, ouvrant sur une volée de questions sans réponse. L’événement en lui-même (qui renvoie à un fait-divers réel) est en soi assez incompréhensible : il y a meurtre, mais qui tue qui et pourquoi, mystère…

Solitude

Auparavant, on aura suivi quelques personnages de loin. De très loin même, car le cinéaste choisit de les saisir au télé-objectif, si bien que l’on n’entend jamais la nature de leurs conversations. Leurs actes sont anodins : ils se lèvent, achètent le journal, ont l’amour, prennent leur voiture… Rien de tout cela n’a une quelconque importance, tout n’est que quotidienneté muette, et rien ne laisse penser que si l’on comprenait qui ils sont et ce qu’ils se disent, les choses seraient plus passionnantes. Dans cette heure de plans qui contemplent la banalité du monde, on a le temps de constater que Rosales ne se pose pas en paparazzi des événements, mais bien en cinéaste : jamais à la traîne de l’action, il l’anticipe par ses cadres et ses mouvements de caméra. Tout est mis en scène, et Un tir dans la tête se heurte ainsi à un écueil : il voudrait filmer le hasard, mais n’enregistre que son propre contrôle. Autre écueil : le format. Un tir dans la tête pourrait durer quatre heures (comme Jeanne Dielman, véritable surmoi cinématographique de Rosales) ou 50 minutes (comme l’Elephant d’Alan Clarke auquel on pense à la fin), mais ses 85 minutes "classiques" sont un curieux gage donné à l’industrie, alors que le film lui fait un véritable bras d’honneur. Cela étant, Un tir dans la tête, sur sa fin, sort non seulement les armes à feu, mais aussi les armes les plus tranchantes de son dispositif : en un champ-contrechamp stupéfiant, Rosales crée un suspense qui n’est qu’affaire de regards, croisant pour la seule et unique fois celui de cette caméra trop discrète pour ne pas être voyante. Comme une brutale sortie de l’anonymat qui ne peut qu’engendrer une autre forme de brutalité… Le drame achevé, le film ne délivre aucun discours. La solitude des personnages du film précédent devient celle du spectateur, choqué et perplexe.

Un tir dans la tête
De Jaime Rosales (Esp-Fr, 1h25) avec Ion Arretxe, Iñigo Royo…

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