Le Temps qu'il reste

Chronique intime et historique en quatre actes, le nouveau film d’Elia Suleiman raconte avec une maîtrise parfaite de la tragi-comédie la vie presque quotidienne d’une famille arabe dans l’état d’Israël. Aussi drôle que bouleversant. Christophe Chabert

Un taxi sous une pluie battante : «On est où, là ?» lance, blasé, le chauffeur, pendant que son passager reste impassible sur la banquette arrière. On est en Israël, mais dans une ville arabe (Nazareth). Autrement dit : dans un espace politique à l’identité troublée… Mais si Le Temps qu’il reste est effectivement un film qui se pose des questions identitaires, ce n’est pas par ce biais-là (du moins, pas frontalement), mais par celui de l’identité familiale d’Elia Suleiman. Dans ses précédents films, il se mettait en scène pour faire la chronique de son pays, la Palestine ; ici, la chronique se fait intime et autobiographique, puisque le cinéaste y effectue un long retour en arrière, repartant de l’époque (1948) où son père résistait à l’invasion israélienne. Un père beau comme un Dieu, dont le calme olympien et le sourire discret se muent au fil du film en résignation mélancolique. Autour de lui, le monde bafouille comme un disque rayé : les mêmes rengaines des mêmes voisins, les mêmes contrôles par les mêmes policiers, les mêmes sermons du même professeur au petit Elia, si précoce qu’il dénonce déjà l’impérialisme américain…

La recherche du temps perdu

On pense connaître le procédé, puisque Suleiman l’utilisait déjà dans Intervention divine : une narration en vignettes juxtaposées qui tracent avec humour le portrait kaléidoscopique d’une vie absurde. Mais Le Temps qu’il reste va bien plus loin, et c’est effectivement une question de temps : car au surplace des existences plombées par la guerre et les humiliations quotidiennes, le cinéaste répond par d’incroyables ellipses recouvrant un événement traumatisant de l’histoire palestinienne. Cette manière de lier ensemble sans les superposer souvenirs personnels et mémoire collective est évidemment une des grandes forces du film. Mais c’est surtout l’invention cinématographique à l’œuvre dans chaque plan qui impressionne : travaillant à la manière d’un dessinateur de bandes dessinées (on pense beaucoup à Sempé), Suleiman cherche l’expressivité immédiate grâce à une économie d’images et de mots. La fin du film, où ses «cases» atteignent une ampleur burlesque irrésistible (un saut à la perche aussi épique que politique, une étrange communion entre Juifs et Arabes autour d’un night club), laisse pourtant le sentiment diffus d’un désespoir total. Et on sort de ce film essentiel avec la même interrogation que le chauffeur au début : «On est où, là ?».

Le Temps qu’il reste
De et avec Elia Suleiman (Palestine-Fr, 1h45) avec Saleh Bakri… (sortie en salles le 12 août)

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