Blog : Lumière jour 2 Dollars, désert, grève et justice

C’est avec le sourire que la journée commence : Marjane Satrapi, en grande forme, vient présenter la copie restaurée de Pour une poignée de dollars au Pathé Bellecour, et arbore fièrement une (fausse) moustache avant de dégainer un colt et de tenter quelques moulinets en hommage à ceux effectués par Eastwood dans le film de Leone. Le cinéaste — dont c’était le deuxième long-métrage — y faisait son entrée dans le western, et posait les bases de ce qui, ensuite, allait faire sa légende. En comparaison avec les films suivants de Leone, Pour une poignée de dollars fait figure de série B brillante, avec des éclats de mise en scène déjà fulgurants qui viennent élever un scénario assez classique. C’est un remake déguisé du Yojimbo de Kurosawa, mais on peut aussi le lire comme une variation autour de La Moisson rouge de Dashiell Hammet, roman noir qui inspirera aussi les frères Coen dans Miller’s crossing. Pour une poignée de dollars fonctionne cependant encore aujourd’hui grâce à ce schéma assez jubilatoire : l’homme solitaire, fièrement individualiste, qui met en échec deux clans rivaux en passant de l’un à l’autre, monnayant à chaque fois ses services tout en pensant déjà au coup suivant.

Pendant ce temps, à l’Institut Lumière, se déroulaient les premières séances de The Art of noir présentées par l’impeccable Eddie Muller et le visiblement jet-lagué Philippe Garnier. Après 711 ocean drive, c’était au tour du très (trop ?) attendu Le Rôdeur de Joseph Losey. Le film frappe par sa noirceur absolue, mais aussi, plus problématique, par une certaine théâtralité. On étouffe un peu dans cette succession de séquences d’intérieurs très dialoguées, avec des ellipses qui devraient être fulgurantes (la scène du procès), mais qui peuvent aussi se lire comme des conventions pures et simples importées de la scène. Cela dit, le film garde un atout majeur dans son sac, une grande évasion finale où il s’aventure dans la vallée de la mort. Esthétiquement, Le Rôdeur se renverse comme un gant : ces grands espaces inondés de lumière ne sont pas une échappée pour les personnages, mais le moment où le piège se referme sur son anti-héros, incarné par l’excellent Van Heflin, avec sa gueule patibulaire qui le désigne comme un salaud évident, mais que la mise en scène se charge de rendre charmeur, romantique, et presque séduisant.

En milieu de journée, alors qu’on prenait tranquillement notre rythme de croisière, le festival a été rattrapé par l’actualité qui anime les salles de cinéma lyonnaises depuis la rentrée : les employés du CNP Terreaux, un des lieux principaux de projection de la manifestation, se sont mis en grève, provoquant l’annulation des séances. Pas question ici de rentrer dans les faits, mais ce mouvement surprise fleure bon le bras de fer, sinon le bras d’honneur à la Ville de Lyon, les choses étant dans l’impasse avec leur patron, le fantomatique Galeshka Moravioff. Dès les premiers communiqués publiés par Les Inattendus et leur président Jean-François Buiré, l’amalgame était fait entre les difficultés du CNP et le lancement du festival, subventionné massivement par le Grand Lyon. Comme si l’un était responsable de l’autre… Ça pouvait se discuter à l’époque, mais là, on se sent carrément exclu du débat. Les spectateurs qui avaient encore envie d’aller voir des films aux CNP, malgré la médiocrité des conditions de projection, trouveront sans doute là une ultime raison pour ne plus y aller. Car comment soutenir le CNP si on ne peut même plus entrer dans ses salles ? Logique suicidaire et à courte vue qui ne peut qu’accélérer la mort de cet emblème du cinéma d’art et essai lyonnais…

Pendant la grève, les films continuent ailleurs, et puisqu’on ne pouvait goûter avec Gaspar Noé à la projection de Body Snatchers, c’est sur un autre Siegel que notre choix s’est reporté. Et, joie ! The Verdict, premier film du cinéaste, est une merveille. Tourné en 1946, il tient largement son enjeu de départ : faire naître, dans le cadre d’un film policier dont l’intrigue rappelle Le Mystère de la chambre jaune, une réflexion sur la justice et ses failles. Outre l’interprétation carrément grandiose de Sidney Greenstreet et Peter Lorre (mais aussi de l’excellent George Coulouris en inspecteur de police arrogant), c’est l’inventivité constante de la mise en scène qui impressionne. Siegel utilise au maximum la grammaire cinématographique pour donner du relief aux séquences, sublimant ses gros plans et ses mouvements d’appareil par un montage remarquable. La fin du film est un twist inattendu, et superbement amené (beaucoup de scénaristes d’aujourd’hui devraient en prendre de la graine), et confère même à l’ensemble, plutôt drôle et joyeux, une touche de mélancolie. C’était la première claque du festival !

Christophe Chabert

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