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Le bon jour d'Albert

Albert Dupontel, comédien éclectique et cinéaste résolu, signe son quatrième film derrière la caméra, une nouvelle farce grinçante à la fantaisie visuelle méticuleuse. Christophe Chabert

Depuis quelques jours, une vidéo circulait sur internet où on le voyait s’énerver contre un journaliste de France 3 qui déclarait ne pas avoir vu son film avant de l’interviewer. On craignait donc de rencontrer un Albert Dupontel crispé et sur ses gardes, en promo forcée pour Le Vilain, son quatrième film en tant que réalisateur. Mais ce n’est pas le cas. Dupontel est dans un bon jour, répondant sérieusement aux questions, avec un débit qui défie la prise de notes ! On va pouvoir faire le tour des énigmes qui l’entourent. Exemple : ses films sont drôles et méchants, mais finissent toujours sur une note humaniste, entre Capra et Chaplin. C’est le cas depuis l’épilogue édénique du brutal Bernie où il chevauchait nu dans les prés sur une chanson de Bertrand Cantat… Chez Dupontel, plus on détruit, plus on gagne son ticket pour le salut. Une sorte de rédemption par le chaos qui se traduit par un mélange furieux de naïveté et d’humour hara-kiri… «Je n’ai jamais quitté l’enfance», avoue Dupontel. «L’enfance, c’est l’eldorado de l’artiste. Je m’en rends compte quand je regarde Terry Gilliam ; c’est flagrant dans le sujet de ses films mais aussi dans sa manière de se comporter sur un tournage». Les personnages que Dupontel incarne dans ses propres films sont en effet des enfants qui ont mal (ou pas) grandi ; les rôles d’adultes, ils se les réservent chez les autres, depuis son étonnant outing d’acteur dramatique dans La Maladie de Sachs de Deville. On l’a vu souvent génial — dans Un héros très discret, Le Convoyeur, L’Ennemi intime ou Paris ; parfois, il s’est un peu égaré, comme dans ce nanar de SF appelé Chrysalis, ou dans le dernier Becker, Deux jours à tuer. «En tant que réalisateur, le système me tolère. Je dois trouver des sujets et les emmener à bon port. Entre deux films, je fais l’acteur chez les autres, et ça me fait beaucoup de bien. Mais depuis avril 2007, je n’ai fait que travailler sur 'Le Vilain'».«Amoureux de la caméra»
Sur les plateaux, Dupontel a la réputation d’être exigeant : on ne fume pas devant lui, il passe son temps le nez dans des livres, de philosophie surtout. Cette facette-là, que Gaspar Noé avait capturée en le laissant développer puis improviser son rôle de prof cérébral et coincé dans Irréversible, transpire peu dans les fables grinçantes que Dupontel écrit et réalise ; sa maniaquerie passe alors uniquement dans la fabrication. Cinéaste visuel, il prépare méticuleusement chaque plan avec une technique très particulière : «Je fais un storyboard, je découpe tous les plans, et c’est un mode d’emploi à suivre. Tout est expliqué, même la focale de la caméra, il suffit que ce soit bien lu par toute l’équipe technique». Cette passion de l’image, Dupontel la partage avec d’autres réalisateurs français : «Il y a dix ans, Gaspar Noé, Marc Caro, Jean-Pierre Jeunet, Jan Kounen et moi, on se fréquentait beaucoup. Notre point commun, c’était le travail à la caméra et la culture de l’image, même si à l’arrivée ça a pu produire des choses très différentes. Ce que fait Gaspar est passionnant par exemple : c’est un formaliste mais aussi un hyper-réaliste. J’étais fier d’aller jouer chez Jeunet dans 'Un long dimanche de fiançailles'. Jeunet, c’est la bonne nouvelle du cinéma français. C’est un amoureux de la caméra mais qui magnifie le quotidien. Son cinéma est devenu un morceau de patrimoine». Dans ses admirations cinéphiles, il cite Keaton, Tati et surtout Orson Welles. «Je ne me compare pas, c’est trop écrasant…», tempère-t-il. On lui suggère une filiation avec Jean-Pierre Mocky, plus facile à porter. «On me le dit souvent, mais je connais mal ses films. Par contre, je trouve chez Ken Loach et surtout chez Depardon une vraie mine d’or. Quand je vois 'Délits flagrants', je me dis que si ces gens existent, je peux ensuite faire les films que j’ai envie de faire. C’est comme '10e chambre' ; il y a des dialogues qu’on ne peut pas inventer, et qui sont dits avec une telle sincérité que ça en devient drôle. Je m’inspire de cela».Bonnes résolutions
Enfermés dehors avait été un projet long et lourd à monter. Dupontel explique aussi à quel point il a perdu du temps en cherchant à l’époque un salut impossible à l’étranger, aux États-Unis en particulier. Mais l’idée ne lui est pas sortie de la tête… Terry Gilliam et Terry Jones me disent que c’est jouable de tenter le coup d’un film en anglais. S’ils veulent de moi, je le ferai… J’ai vraiment envie de travailler avec une actrice là-bas… Mais il ne dira pas laquelle ! Deuxième ambition : ne plus jouer dans les films qu’il réalise. Dupontel est conscient que ce n’est pas pour tout de suite. «Je souhaite le faire, je le dis depuis des années… Mais bon, tant que j’ai encore du jus, je continuerai à jouer…» Comme si ce comédien d’envergure, apparu il y a quinze ans par de tonitruants one-man-shows, organisait sereinement sa disparition à l’écran, nouvelle étape d’un parcours patient dont on devine aujourd’hui l’extrême cohérence.

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