Les dossiers de l'Étrange

Cinéma / Pour sa troisième édition, L’Étrange festival frappe très fort et s’impose comme un rendez-vous incontournable pour tous les cinéphiles, et pas seulement les amateurs de curiosités bis. Christophe Chabert

Dès son lancement en 2008, nous avions parié sur la réussite de L’Étrange festival. Déclinaison lyonnaise d’une manifestation parisienne alors en sommeil, mais aussi émanation d’un collectif de passionnés — l’association Zonebis — il s’installait au fraîchement ouvert Comœdia pour proposer une semaine de films rares, cultes ou déviants qui dressaient un itinéraire bis dans l’histoire du cinéma. La deuxième édition, à l’exception d’une poignée d’avant-premières décevantes, confirmait tout le bien que l’on pensait de sa programmation. Pour son cru 2010, le festival a vu les choses en grand. Quantitativement, pas de boulimie : il garde son format initial et le nombre de séances reste sensiblement le même… Mais qualitativement, on est proche du sans faute : ainsi, après la moisson moyenne de l’an dernier, L’Étrange festival a mis la main sur une poignée de films à sortir qui dessinent une carte particulièrement excitante du cinéma contemporain. L’ouverture avec Enter the void en présence de Gaspar Noé, et la clôture avec Mammuth des Grolandais Kervern et Delépine, en présence de Kervern, place la manifestation sous le signe d’un cinéma français qui ferait rimer mainstream et expérimentation, populaire et avant-garde, soit un antidote nécessaire à la soupe tiède actuellement produite dans l’hexagone. Ce sont aussi deux grands films d’amour, petite surprise de la part de cinéastes jusqu’ici plutôt concentrés sur la colère, brutale pour Noé, sociale pour Kervern et Delépine. Julie Delpy devrait aussi surprendre avec sa Comtesse, surtout après la comédie sympathique Two days in Paris, puisque le film raconte la folie d’une comtesse hongroise du XVIIe siècle qui fait assassiner des vierges pour boire leur sang, pensant y trouver un élixir de jouvence. Enfin, une dernière proposition française iconoclaste fait envie : Villemolle 81, signée Winschluss. Derrière le pseudonyme se cache Vincent Paronnaud, auteur de bande-dessinée et coréalisateur de Persépolis, qui réalise ici un film mélangeant prises de vue réelles et animation 2D, une fable fantastique avec villageois débiles transformés en zombies craspecs. Miam !

De l’autre côté du miroir, vraiment !

Alors que l’Alice de Tim Burton annexe les salles du monde entier, le festival lui fait un pied de nez (involontaire nous ont garanti les organisateurs) en programmant trois films qui s’inspirent plus ou moins de Lewis Carroll. Morgane et ses nymphes de Bruno Gantillon est le genre de bis que le festival apprécie particulièrement, un film d’exploitation érotique et fantastique avec de jolies pépées se livrant langoureusement à des rapports saphiques sous les yeux d’un petit homme inquiétant. Plus soigné que du Jean Rollin certes, mais inférieur à une autre rareté française qu’on aurait bien vu à la place, Alice ou la dernière fugue de Claude Chabrol. En revanche, le festival propose dans cette même thématique deux chefs-d’œuvre qui illustrent la beauté du cinéma tchèque. Alice du génial Jan Svankmajer est un rêve de film où la technique — l’animation image par image de comédiens, d’objets et de créatures empaillées — se met entièrement au service d’une atmosphère onirique et fascinante. Plus méconnu encore, Valérie ou la semaine des merveilles de Jaromil Jires — avec Forman, Passer et Menzel, un des grands de la Nouvelle Vague tchèque — est un poème cinématographique morbide et enchanté, une œuvre où chaque plan apporte une pierre à sa métaphore : l’éveil terrifié et enchanté de la sexualité chez une jeune fille qui connaît ses premières règles. Immanquable !

Bartel en tête

Pour la première fois, le festival rend hommage à un cinéaste en présentant trois de ses films. Le gars s’appelle Paul Bartel, il vient de l’écurie Roger Corman, mais il fut surtout très proche, par son flirt permanent avec le mauvais goût, d’un John Waters. Révélé avec le cheap mais mordant La Course à la mort de l’an 2000, détournement politique d’une commande sur une futuriste course de bagnoles customisées, il va jusqu’à sa mort pratiquer son art de la satire dans plusieurs genres : la chronique de mœurs dans l’hilarant "Eating Raoul" ou le western avec l’halluciné Lust in the dust. Acteur mercenaire chez Araki, Carpenter ou son pote Joe Dante, réalisateur sans style, peu soucieux de la forme mais toujours prêt à dégainer un propos caustique et grinçant, parodiant par l’underground les clichés du cinéma commercial, il a trouvé quelques fans prestigieux : Paul Verhoeven dans sa période américaine ou Fabrice Du Welz, qui donnera le nom de Bartel au personnage de Berroyer dans Calvaire. Un grand cinéaste mineur et nécessaire que seul L’Étrange festival pouvait tirer de l’oubli !

L’Étrange festival
Au Comœdia du mercredi 31 mars au mardi 6 avril.

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