Lumière 2010 : Jour 1 Entre amis…

Ouverture / Chantons sous la pluie / Mes chers amis

Lundi soir, ouverture du festival. Une Halle Tony Garnier bien remplie (mais pas complète…), des invités partout, un hommage à Alain Corneau et Claude Chabrol («Alain, Claude» comme dit notre Bertrand Tavernier national, dont on s’est promis de ne pas prononcer le titre du dernier film histoire de rester de bonne humeur), des rencontres improbables (Gérard Collomb + Juliette Binoche : what ?), un appel au don pour la construction d’un cinéma à Bamako sous l’impulsion conjointe de Juliette Binoche et Abderrahmane Sissako, des stars à l’applaudimètre (gagnante, comme l’année dernière, Agnès Varda !), quelques perles (Xavier Gianolli présenté comme «un des meilleurs cinéastes mondiaux» par Thierry Frémaux ; il voulait sûrement dire de l’univers…). Comme l’an dernier, pas trop notre truc, mais il paraît que c’est nécessaire pour marquer l’ambition populaire du festival. Soit. Heureusement, Stanley Donen est arrivé. Quelque part entre une rock star vintage et un gourou californien, Donen en impose, et il a suffit de quelques extraits de sa filmographie pour donner immédiatement envie de revoir toute son œuvre. La classe aussi quand il évoque "Chantons sous la pluie", disant peu ou prou qu’à l’époque où ils tournaient le film, ils étaient jeunes, inconscients et qu’ils s’amusaient entre amis. Après sa projection, on se dit que cette insouciance-là est peut-être la source de son insolente jeunesse (anecdote : derrière nous, une fillette qui ne devait pas avoir plus de dix ans connaissaient les chansons par cœur et en anglais ; les enfants sont formidables, comme disait feu-Jacques Martin). Surtout, le film, qui évoque le passage du cinéma muet au cinéma parlant à travers un récit à la fois fantaisiste et extrêmement précis dans ses références cinéphiles ("Le Chanteur de jazz" et "Ziegfield follies" sont ses deux balises), résonne étrangement avec l’état du cinéma contemporain. Voir ses pionniers se débattre avec une technique nouvelle, qui bouleverse profondément les règles de l’industrie pour laquelle ils travaillent, et qui les pousse à leur tour à faire figure d’inventeurs de forme pour éviter de passer pour des baltringues amateurs, n’est pas sans rappeler l’actuelle situation de la 3D. Il y eut de mauvais films parlants, opportunistes et mal foutus, comme il y a aujourd’hui des films en 3D exclusivement commerciaux, à l’ombre de la maîtrise bluffante d’un Cameron ou d’un Zemeckis. L’amitié, c’est aussi le thème (et le titre), du premier film vu le lendemain au festival : "Mes chers amis" de Mario Monicelli (1975), dernier feu d’une comédie italienne qui jouait les prolongations après son âge d’or. Le film est indissociable de sa drôle de gestation : écrit et développé par le génial Pietro Germi, le cinéaste abandonna le film, trop malade pour le réaliser, et ne vit jamais le résultat de son vivant. L’ombre de Germi plane au-dessus du film, qui reprend la structure révolutionnaire de son chef-d’œuvre, Signore e signori : quatre personnages dont on suit en fil rouge la virée «gitane», mais qui endossent chacun leur tour et en flashbacks une partie autonome du récit. L’humour est plus grossier et scatologique que dans "Signore e signori", la mise en scène et la photo de Monicelli n’ont pas l’élégance extraordinaire des films de Germi, mais le film étonne par son amertume, et surtout par l’audace de son casting. Non seulement parce que les comédiens sont formidables (Noiret et Tognazzi, plus des habitués des films de Germi, trognes inoubliables dont on peine à mémoriser, honte sur nous, les noms), mais aussi parce qu’ils sont tous déjà trop vieux. C’est la bizarrerie du film : ces quadragénaires se comportent comme des adolescents turbulents, rétifs à la respectabilité qui pourtant leur tend les bras, préférant l’amitié potache et virile au foyer rassurant et au confort du mariage. S’il fallait trouver un équivalent contemporain à "Mes chers amis", ce serait du côté des comédies siglées Judd Apatow ("Frangins malgré eux", notamment), où l’on met en scène la même immaturité salvatrice, et la même mélancolie face à la peur de vieillir. À l’inverse, si on devait en fournir l’exact contrepoint, ce serait du côté de l’horrible film de Guillaume Canet "Les Petits Mouchoirs", qui confond lamentablement film de copains et film de vacances, et n’a pas l’intelligence de faire rire ses personnages dans les moments tragiques (comme le font Germi et Monicelli) plutôt que de les faire pleurer. Mais on s’était promis de ne pas parler du film pour rester de bonne humeur…
Christophe Chabert

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