Cannes, jour 1 : Autour de Minuit

Minuit à Paris de Woody Allen

C’est reparti pour un tour de Cannes. Les indicateurs sont en hausse (plus de stars, plus de business, plus de films intéressants — enfin, c’est ce qui se dit — et plus de journalistes, visiblement), après la morose édition 2010. Si tout le monde attend Terrence Malick, il paraît que du côté de Lars Von Trier, il va y avoir du lourd. Sans parler de notre maître Alain Cavalier, de retour en compétition, ou de Take Shelter, le deuxième film de Jeff Nichols présenté à la Semaine de la Critique et dont le Shotgun stories a marqué durablement nos mémoires.

Si le film d’ouverture donne le ton de ce qui va se passer par la suite, alors Minuit à Paris annonce en effet un Cannes 2011 à la fois joyeux et de grande qualité. Eh oui, c’est ce bon vieux Woody qui aura réussi à nous surprendre d’entrée ! Encore ? Oui et non. Car à la vision de Minuit à Paris, on se dit que l’on n’a pas vraiment aimé ses films depuis Match Point (à l’exception, peut-être, de Whatever works, mais qui sonnait comme une réplique tardive de son cinéma des nineties), du moins qu’on y a pris un plaisir essentiellement théorique qui fermait les yeux sur d’évidentes faiblesses (de rythme, de réalisation ou de récit, comme ce goût un peu daté pour la voix-off). Rien de tout ça dans Minuit à Paris, qui frappe avant tout par la vivacité de son trait, sa capacité à emballer son histoire en y propulsant sans cesse de nouvelles péripéties, de nouveaux personnages. Le problème, c’est qu’il ne faut pas trop en dire si l’on veut justement se laisser aller complètement à cette divagation onirique — la bande-annonce, qui laissait présager une transposition du cinéma allenien dans un Paris de carte postale, est un chef-d’œuvre dans l’art de ne rien révéler ! Ce sont d’ailleurs de pures cartes postales en mouvement qui ouvrent le film, comme un court-métrage touristique scotché au cul du générique de début. On craint le pire, même si la pluie qui finit par rendre ces clichés bien ternes, laisse à penser que Woody Allen ne s’en tiendra pas à ce survol romantique et toc.

C’est en effet ce qui va se passer. Gil, qu’Owen Wilson incarne avec une gourmandise d’acteur manifeste, se rêve en écrivain américain en exil parisien. Mais il n’est qu’un minable scénariste hollywoodien, et sa venue dans la Capitale française n’est liée qu’à un deal financier monté par son beau-père républicain adepte des tea-parties. Il est là avec sa fiancée (Rachel MacAdams), mais celle-ci semble plus à l’aise avec un professeur anglais pédant (Michael Sheen). Lassé de passer pour un ignare, il décide un soir d’aller marcher dans Paris, et au moment où les douze coups de minuit sonnent, Woody Allen orchestre une traversée du miroir qui rappelle bien sûr La Rose pourpre du Caire. À moins que Gil ne soit une sorte de Leonard Zelig, qui n’irait plus se fondre dans des images d’archive, mais dans les clichés historico-culturels de la ville-Lumière. L’itinéraire de Gil rappelle celui de Tom Cruise dans Eyes wide shut. Plus il s’approche de son fantasme, plus il est renvoyé à sa triste réalité : aime-t-il vraiment cette femme qui partage sa vie ? Et ne s’aveugle-t-il pas aussi sur l’intérêt que celle-ci lui porte ?

Pour parvenir à cette réflexion mélancolique, Allen aurait pu tomber dans sa veine bergmanienne. Mais son audace est d’avoir préféré la pure fantaisie, la comédie parfois débridée (la grandiose apparition d’Adrian Brody est par exemple un moment particulièrement jouissif) plutôt que le drame existentiel. Il fait bien, car Minuit à Paris délivre un discours subtil, bienvenu et jamais écrasant sur l’illusion du temps perdu, sur la nostalgie d’un passé qui serait forcément meilleur que le présent. Là encore, on pense au dernier acte de la filmo kubrickienne : arrivé au bout de son rêve, Gil revient libéré à la réalité, prêt enfin à accepter les choses comme elles sont, et non comme il les idéalisait.

Qu’un cinéaste à la filmo si massive, arrivant sans doute dans la dernière partie de sa carrière, refuse de regarder dans le rétroviseur et ait encore envie d’en découdre avec le monde nous rappelle pourquoi on aime le cinéma de Woody Allen : c’est un cinéma vivant !

Christophe Chabert

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