Depardieu, évidemment…

Entretien / Jean-Paul Rappeneau, cinéaste rare, précieux et exigeant, présentera au troisième festival Lumière la copie restaurée du Sauvage et, pour la séance de clôture, celle de Cyrano de Bergerac, en hommage à Gérard Depardieu, Prix Lumière 2011. Propos recueillis par Christophe Chabert

L’année dernière vous êtes venu présenter La Vie de château avec Pierre Lhomme, votre chef opérateur, au festival Lumière. Quelles avaient été vos impressions ?
Jean-Paul Rappeneau :
J’en garde un souvenir magnifique. Ni moi, ni Pierre Lhomme n’avions vu le film depuis longtemps, en tout cas pas en salles. Se retrouver avec un public très nombreux, notamment beaucoup de garçons et de filles qui ne l’avaient jamais vu parce qu’ils étaient trop jeunes, et qui à la fin applaudissent longuement, c’était formidable. En plus, cette année, avec l’hommage à Gérard Depardieu, Cyrano de Bergerac va être projeté dans la Halle Tony Garnier ; du coup, je vais venir avec un de mes petits-fils de 8 ans, et j’ai hâte de voir la tête qu’il va faire quand il verra le film dans cette salle !

Vous avez deux actualités pendant le festival : cette projection de Cyrano, et la copie restaurée du Sauvage. Comment avez-vous été associé à cette restauration ?
Le négatif original du Sauvage avait été abîmé parce qu’on avait tiré trop de copies, et il n’était plus possible d’en tirer d’autres. Pour préserver le film, il fallait restaurer. Pierre Lhomme a restauré quantité de films, y compris ceux auxquels il n’a pas participé, comme certains Melville ou La Grande illusion ; il est devenu un spécialiste de la chose. Il a passé plusieurs mois à restaurer Le Sauvage plan par plan ; je n’ai pas assisté à tout, je passais de temps en temps voir le résultat. Par contre, ce qui m’a passionné, c’est le travail sur le son. Avec le numérique, les possibilités sont immenses. On a retrouvé les éléments qui avaient servi au mixage original il y a trente cinq ans et du coup, on a pu le remixer en dolby stéréo, spatialiser le son, notamment la musique de Michel Legrand qui prend aujourd’hui toute son ampleur dans une salle de cinéma.

Cyrano était le premier film que vous tourniez avec Gérard Depardieu. Quand s’est-il imposé pour le rôle ?
Pour moi, tout de suite. Cyrano est une chose qui m’a été proposée au moment où les droits de la pièce sont tombés dans le domaine public. On m’a demandé si ça m’intéressait d’en faire un film et j’ai demandé si c’était pour la télévision. Ça paraissait improbable de le faire pour le cinéma : une pièce en alexandrins, très longue, un peu poussiéreuse. On m’a tout de même demandé avec qui je souhaiterais le faire si j’acceptais. Après une heure de réflexion, j’ai rappelé pour dire Depardieu. Ce que je voyais surtout, c’est que ce personnage, dans mon souvenir, est à la fois fort et faible, capable de se battre contre le monde entier et en même temps de garder une blessure secrète, un amour pour Roxanne qu’il n’a jamais osé déclarer. Fort et faible, c’est ce qui caractérise Gérard, et c’est ce qu’il est réellement dans la vie.

Vous êtes le premier à avoir synthétisé ces deux facettes dans un même personnage…
Je ne vois pas qui d’autre que Gérard aurait pu faire ça. Ceux qui me proposaient le film ne voyait du personnage que le côté flambard, bagarreur, cocardier. Mais la vraie force de la pièce, c’est la blessure, et c’est ce qui lui a fait traverser le siècle.

Le film a aussi traversé le temps, grâce à son succès et à son importance dans la carrière de Depardieu. Comment le situez-vous par rapport à votre propre parcours ?
Effectivement, j’ai été saisi par ce succès. J’ai hésité avant d’accepter de le faire, mes enfants étaient perplexes sur le fait que les acteurs allaient parler en vers… Et pourtant, c’est ce qui en fait la force, ce côté «opéra verbal». C’est au montage que j’ai compris qu’on avait fait un film à part. Mais ce grand succès a été une surprise totale qui m’a beaucoup troublé. Les gens me disaient : «Après ça, vous pouvez faire n’importe quoi.» Mais je ne voudrais pas rester comme le type qui a fait Cyrano. J’espère à toute force faire un nouveau film, après avoir travaillé trois ans sur un projet qui n’a pas pu se concrétiser…

Depardieu ressentait-il l’enjeu que représentait Cyrano ou adoptait-il sa décontraction habituelle sur le plateau ?
Non. Il est très intelligent et, même si ça ne l’empêchait pas de blaguer, ce qui est une manière de chasser l’appréhension, il a senti qu’il y avait quelque chose de proche de lui, qui lui ressemblait : l’homme blessé mais qui n’a peur de rien. Ça a été une grande aventure, et elle nous lie pour la vie. Aujourd’hui, il faut lui mettre des papiers partout car ça l’embête d’apprendre le texte. C’est ce que j’ai fait sur Bon Voyage. Mais quand je le grondais sur le tournage en lui disant «Tu peux quand même apprendre ces deux phrases-là, c’est pas compliqué !», pour me montrer qu’il avait encore de la mémoire, il me récitait des phrases entières de Cyrano qu’il connaissait toujours par cœur !

Vous serez avec lui pour lui remettre le Prix Lumière ?
Oui. Ça fait longtemps que je ne l’ai pas vu. Des histoires restent entre nous, comme cette armoire qu’il était venue détruire dans ma chambre. Je suis sûr qu’il y fera allusion quand je le retrouverai à Lyon !

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