Martha Marcy May Marlene

Portrait d’une adolescente s’échappant d’une communauté dirigée par un gourou séduisant et dangereux, le premier film de Sean Durkin exprime par sa mise en scène, mentale et envoûtante, la confusion de son héroïne. Brillant. Christophe Chabert

Martha Marcy May Marlene pourrait être un drame à sujet sur les dérives sectaires de l’Amérique profonde ; mais Sean Durkin a une ambition bien plus grande qu’un simple réquisitoire contre la confusion des valeurs américaines et ses conséquences sur une jeunesse déboussolée. Son premier film est surtout, à la manière de La Solitude des nombres premiers l’an dernier, une tentative pour retranscrire le trouble mental de son héroïne Martha. C’est son vrai prénom, mais le gourou de la communauté dans laquelle elle a fui ce qui lui reste de famille l’a rebaptisée Marcy May. Quant à Marlene, c’est le nom que chacune de ses ouailles emprunte pour répondre au téléphone et pister de futures proies. L’horreur est bien là : le viol initial au prétexte d’une libération du corps, le bourrage de crâne qui conduit à se départir de son libre-arbitre et de son identité ; mais le cinéaste ne la livre jamais que par fragments intercalés en flashbacks dans un récit centré sur la reconstruction de Martha. En effet, celle-ci a réussi à s’évader et s’est réfugiée chez sa sœur Lucy et son mari.

En eaux troubles

Il y a d’abord une idée très forte : ces deux hôtes, bourgeois aisés et puritains, ne tolèrent que partiellement les mœurs de Martha. Impossible, par exemple, de supporter qu’elle se baigne nue dans le lac de leur propriété. Comme si, ayant échappé à l’enfer d’un communautarisme liberticide, elle se heurtait à d’autres barrières, sociales et morales. D’où la schizophrénie qui s’empare d’elle, et que Durkin traduit par une mise en scène impressionnante. À la manière du Altman des années 70, Martha Marcy May Marlene est composé en longs plans en scope filmés en courtes focales, dans lesquels le cinéaste recadre l’action par des zooms minutieux et un discret travail de perspective sonore. Martha est ainsi doublement livrée à sa solitude, écrasée par l’absence de profondeur de champ puis isolée dans le cadre du reste de son environnement humain. L’angoisse qu’elle ressent, diffuse mais omniprésente, se communique ainsi au spectateur jusqu’au dernier plan, en suspens. Le trouble ressenti tient aussi à la force de ses acteurs, à commencer par Elizabeth Olsen, sorte de Kristen Stewart en plus charnelle, et John Hawkes en gourou séducteur et manipulateur, hippie dégénéré façon Gilbert Bourdin, la religion en moins.

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