Cannes, entre la panne et le moteur

Curieuse édition du festival de Cannes, avec une compétition de bric et de broc pleine de films d’auteurs fatigués et dont le meilleur restera celui qui annonça paradoxalement la résurrection joyeuse d’un cinéma mort et enterré. Du coup, c’est le moment ou jamais de parler des nouveaux noms que le festival aura mis en orbite. Christophe Chabert

Comme il y a deux ans, le jour férié nous oblige à boucler avant la fin du festival de Cannes et la remise de la Palme d’or. Mais comme il y a deux ans, on a déjà hâte que l’affaire se termine, tant la compétition aura été laborieuse, et même parfois pénible à suivre. Surtout, sa diversité n’a pas été payante. En quelques heures, on pouvait passer d’un navet faussement personnel et vraiment putassier (le redoutable Paperboy de Lee Daniels, qui mérite des tomates après son déjà horrible Precious) à un sommet d’académisme moderniste à base d’acteurs inexpressifs, de dialogues séparés par d’interminables et grossiers silences et de plans sous tranxène sur des gars qui marchent dans les bois (le soporifique Dans la brume de Sergeï Loznitsa, qui mérite des œufs pourris après son déjà pontifiant My joy).

Et on n’oubliera pas dans la liste le très Vogue Homme Sur la route de Walter Salles, où la beat generation réduite à un clip publicitaire sur la mode des hipsters, ou encore le téléfilm de Ken Loach, La Part des anges, d’une fainéantise hallucinante que ce soit dans le déroulé de son scénario ou sa direction artistique inexistante.

Cas à part : Carlos Reygadas qui, avec Post Tenebras Lux, semble avoir voulu faire son Oncle Boonmee, en oubliant quand même ce qui faisait la force de Weerasethakuhl, à savoir une vraie place laissée au spectateur. Ici, son talent (toujours à l’œuvre dans la plastique, impressionnante, du film) se dilue dans une nébuleuse narrative complètement opaque et qu’on n’a même pas envie de décrypter, de peur d’y découvrir un propos détestable qui affleure au gré des épisodes zarbis qui le parsèment.

Le cinéma est mort. Vive le cinéma !

Quant à Alain Resnais, on doit avouer qu’après avoir défendu du bout des lèvres Les Herbes folles, on sera beaucoup moins indulgent avec Vous n’avez encore rien vu, dont le parfum crépusculaire s’accompagne d’un retour un peu rance au théâtre français des années 50, celui d’Anouilh, donnant à l’ensemble un goût passéiste que le dispositif du cinéaste, aussi maîtrisé soit-il, ne vient jamais faire oublier.

On sera d’autant moins indulgent que ce Cannes 2012 aura été irradié par un grand film parfaitement inattendu et qui n’est pas sans rapport sur le principe avec le Resnais. On parle bien sûr de l’incroyable Holy Motors de Leos Carax. En revisitant sa vie et son cinéma en compagnie de son comédien fétiche Denis Lavant, qui incarne un acteur prisonnier de ses propres rôles et contraint de les rejouer pour de vrai lors d’un long périple en limousine blanche, Carax aurait pu tomber dans l’aigreur aux relents godardiens du cinéaste qui ne peut plus tourner. Mais Holy Motors, c’est tout l’inverse : chaque bloc du film est une véritable célébration d’un cinéma qui se réinvente sans cesse et qui, face à la révolution qu’il traverse, entend non seulement faire de la résistance, mais aussi en prendre littéralement les commandes. Film fou, film génial, unique et absolument jouissif ; on y reviendra une fois la Palme acquise, ce qui pour nous ne fait guère de doutes.

No ? Si !

Si la tendance de la compétition fut aux grands cinéastes signant des (tout) petits films (on y ajoute du coup Kiarostami, même si Like someone in love n’est pas dénué d’intérêt, malgré sa paresse manifeste), les sections parallèles ont réservé de belles découvertes ou confirmations.

À commencer par le sidérant Beasts of the southern wild, premier film de Benh Zeitlin dont l’ampleur cosmique et l’élan vital démesuré auront provoqué les plus beaux frissons du festival.

À la Quinzaine des réalisateurs, d’un fort bon niveau cette année, trois réalisateurs ont définitivement pris leur envol : Jaime Rosales, dont le Sueño y silencio est un beau film bergmanien, certes pas facile facile d’accès mais qui, à la différence de beaucoup d’œuvres contemplatives vues à Cannes, possède une réelle générosité de regard sur le monde qu’il décrit ; Ben Wheatley, pour qui la comédie noire et horrifique Sightseers est une récréation réussie après son énorme Kill list ; mais c’est surtout Pablo Larrain qui a explosé grâce à No, incroyable fiction retraçant le plébiscite organisé par Pinochet au Chili en 1988, racontée du point de vue d’un publicitaire choisissant de réaliser la campagne pour le «Non» (Gael Garcia Bernal, excellent).

Larrain accomplit un sacré exploit : son film est à la fois expérimental dans sa forme (l’image ressemble à celle des VHS des années 80) et totalement prenant dans sa gestion du suspense autour de l’issue de la consultation. Un film intelligent, sans surmoi auteuriste mais avec un vrai point de vue, sans démagogie mais respectueux du spectacle et donc du spectateur.

Ah, si tout Cannes avait été de ce niveau-là…

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