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Magic Mike

Au seuil d’une retraite annoncée, Steven Soderbergh met le turbo et enchaîne les films marquant un réel accomplissement artistique, transcendant les genres et les sujets — ici, la chronique d’une poignée de strip-teaseurs en Floride — par une alliance parfaite entre réalisme et stylisation. Christophe Chabert

Début juillet, Piégée (Haywire) avait confirmé la santé actuelle de Steven Soderbergh, à la fois prolifique (un film tous les quatre mois en moyenne) et d’une grande liberté face aux matériaux pourtant mineurs qu’on lui refourguait. Dans ce thriller d’espionnage au féminin, il prenait à contre-pied tous les codes et les figures de style canonisés par la franchise Jason Bourne en laissant l’espace et le temps aux scènes d’action pour se déployer dans un réalisme scrupuleux et pourtant totalement cinégénique. Piégée, c’est la rencontre parfaite entre un réalisme documentaire (Gina Carano, l’héroïne, était une authentique championne d’arts martiaux) et une stylisation constante dont Soderbergh assure la maîtrise à tous les niveaux, à la fois chef-opérateur et monteur de ses films.

Cet accomplissement, déjà en germe dans The Informant ou Contagion, et dont le brouillon raté était les deux volets du Che, le cinéaste le réitère avec Magic Mike, commande de l’acteur Channing Tatum qui voulait relater ses débuts comme strip-teaseur dans des clubs en Floride. Avec beaucoup d’honnêteté, Soderbergh n’a pas joué au malin avec ce postulat de départ ; au contraire, Magic Mike est un film sans un gramme d’ironie, ne portant aucun regard surplombant sur le milieu qu’il décrit, ni sur celles qui en assurent le succès. On peut d’ailleurs lui reprocher de ne pas tenir jusqu’au bout son registre de chronique douce-amère, apportant dans le dernier tiers des éléments dramatiques presque hors sujet et n’évitant pas certains clichés et lieux communs. Mais tout le reste est porté par un talent et une audace qui consistent à métamorphoser l’anodin par la grâce de la mise en scène.

Profession : stripeur

Ce n’est souvent pas grand chose : la rencontre entre Mike et Adam sur un chantier permet à Soderbergh un spectaculaire travelling à la grue qui les accompagnent sur le toit de la maison qu’ils doivent couvrir de briques. L’arrivée sur la plage de la petite fratrie que forment les strip-teaseurs donne lieu à un travelling, latéral cette fois, où le cinéaste filme au soleil levant l’avancée de ces corps parfaits vers la rive. Et c’est encore ce plan-séquence génial où le patron du club (Matthew MacConaughey, acteur de l’année, on en reparlera) apprend à Adam les règles du strip, tandis qu’à l’arrière-plan le plus ancien des danseurs, surnommé Tarzan, fait quelques échauffements comiques à force de placidité.

Tout est admirablement réglé dans Magic Mike, que ce soient les chorégraphies (et, plus encore, la manière dont Soderbergh les sublime par les cadre et le découpage) ou la moindre séquence d’intimité, dans les coulisses du show, entre Mike et la sœur d’Adam, ou enfin lors de cet entretien avec une banquière pleine de bonnes intentions mais incapable de saisir le statut particulier de Mike, vivotant de boulots au noir en boulots au noir, rêvant de se poser et de créer une entreprise de meubles design à base de matériaux récupérés.

C’est l’arrière-plan politique du film, qui ne l’encombre pas mais lui donne une certaine épaisseur : le métier de strip-teaseur est avant tout une manière de gagner sa vie vite et bien, mais ne dissimule pas la précarité dans laquelle ceux qui le pratiquent finiront par retomber s’ils ne pensent pas à l’après. Or, dans un système économique en crise, le provisoire peut devenir définitif puisque seule la solvabilité, norme financière ultime, garantit une issue.

Décontraction

Mais c’est avant tout l’incroyable décontraction que Soderbergh donne à chaque séquence qui séduit ici. Les acteurs semblent libre d’improviser, bafouiller et se tromper dans leur texte, les dialogues se chevauchent et le metteur en scène laisse parfois sa caméra s’arrêter longuement sur un visage pour capter une réaction plutôt que d’accompagner l’action dans son déroulement. La complicité entre les danseurs produit des instants de grâce du même acabit, que le cinéaste enregistre d’abord en calquant son point de vue sur celui du novice Adam, candide au milieu des vieux briscards et de leur routine, avant de filmer la griserie que cette communauté lui procure dans des séquences plus sophistiquées.

On retrouve cette parfaite osmose entre documentaire et pure fiction, entre réalisme et maîtrise stylistique, beauté brute et beauté fabriquée, sans jamais que les uns ne prennent le pas sur les autres. Un équilibre délicat qui à plus d’une reprise donne à ce petit film un charme tout à fait irrésistible.

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