Insensibles

Le premier film du franco-espagnol Juan Carlos Medina est une fresque ambitieuse sur deux époques qui relie avec brio guerre d’Espagne et quête d’identité, blessure nationale et blessure intime, fiction fantastique et réflexion historique. Une excellente surprise. Christophe Chabert

Années 30, dans un petit village catalan. Un mystérieux "mal" frappe les enfants : ils sont insensibles à la douleur, se mettant en danger physiquement et menaçant leur entourage. Les autorités décident donc de les enfermer dans un hôpital psychiatrique, avant de les soumettre à un traitement expérimental pour tenter de les réintégrer à la communauté. Mais la guerre d’Espagne se déclenche et le pays tout entier va se diviser de manière sanglante.

Années 2000, à Barcelone. Un médecin brillant, David, est victime d’un accident de voiture, au cours duquel sa femme enceinte laisse la vie, tandis que son enfant survit. Après des analyses, on diagnostique une leucémie chez David, qui ne peut plus compter que sur une greffe de moelle épinière venant d’un de ses parents.

Juan Carlos Medina, jeune cinéaste franco-espagnol dont c’est le premier long-métrage, alterne ces deux niveaux de récit en maintenant longuement le suspense sur leur point d’intersection. Cette structure fascine autant qu’elle intrigue : d’un côté, les codes du cinéma fantastique brillamment croisés avec une évocation, à la fois littérale et métaphorique, de l’Histoire espagnole ; de l’autre, la quête des origines de David dans un trajet qui passe de l’urgence au désespoir.

Un pays scarifié

La maîtrise visuelle de Medina, sa direction artistique impeccable, son sens de l’angoisse et de l’horreur — suggérée ou figurée, feraient déjà d’Insensibles un film important. Mais c’est sur son versant romanesque qu’il surprend le plus.

Assumant l’ampleur de son matériau, où l’alliance réelle des franquistes avec les nazis dans l’utilisation de la torture côtoie la création fictive d’un monstre pathétique, ange exterminateur qui accomplit ses méfaits par innocence et par jeu, Medina donne plus d’une fois le vertige par les thèmes qu’il convoque. Les blessures d’un peuple s’inscrivent à même le corps scarifié d’un seul homme, la division d’un pays se retrouve des années après dans la division des familles espagnoles.

Tout converge vers un dernier tiers impressionnant, où les fils se rejoignent dans un crescendo d’émotions mêlées ; la beauté complexe d’Insensibles s’y trouve résumée dans un simple regard tragique qui offre l’espoir tardif et fragile d’une réconciliation.

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