Opération clandestine

Blake Edwards (Les Trésors Warner / Collection Les Films criminels)

Heureusement il y a Warner ! Ça sent bon le réchauffé d’un vieux spot de pub, mais il faut reconnaître que le studio est un des rares à prendre un tel soin de son patrimoine et à proposer aux cinéphiles ses «trésors» en DVD. Mais attention ! Seulement sur son site (www.warnerbros.fr). De plus, il pratique désormais une intelligente répartition en collections, dont la plus récente est sans doute la plus extraordinaire : Les Films criminels.

On y trouve notamment deux grands films de Don Siegel (Le Verdict, sa première réalisation, redécouverte avec enthousiasme lors de l’édition 2009 du festival Lumière, et Crime in the streets, avec John Cassavetes), un film culte de James B. Harris, Fast-walking, avec James Woods, ou encore le mythique L’Homme qui tua la peur de Martin Ritt (avec Cassavetes, encore).

Au milieu de cette belle moisson, un film quasi-oublié du prolifique Blake Edwards, Opération clandestine. Il pourra paraître bizarre de voir le cinéaste de La Panthère rose, de La Party ou de Diamants sur canapé associé à une collection appartenant au genre noir. Mais c’est oublié un peu vite qu’Edwards, certes maître de la comédie, a toujours affiché un éclectisme certain dans sa filmographie, en réalisant notamment des films d’espionnage ou des westerns. Opération clandestine est donc un polar, mais sans flic ni détective privé, seulement un chirurgien dans un hôpital public de Boston dirigé par J. D. Randall, un ponte indéboulonnable. Carey (c’est son nom) est cependant un spécimen particulier : il débarque bronzé et le sourire aux lèvres de Californie, affichant décontraction et cynisme envers ce monde empêtré dans ses routines et sa bureaucratie.

Il faut tout de suite dire à quel point James Coburn apporte une légèreté extraordinaire au film dans son ensemble. Viril, droit dans ses bottes, épris de justice et méprisant les pesanteurs et les préjugés, Coburn a ici quelque chose de Clint Eastwood — tous deux ont été formés à l’école du western, ceci expliquant cela. Dans l’introduction du film, admirablement écrite, il tombe ainsi une interne en deux sourires et une ellipse. Pas besoin d’en filmer plus pour montrer le charme ravageur de Carey. Mais le personnage est aussi le reflet d’un entre-deux, et le reste d’Opération clandestine ne fera que le développer : un peu vieillissant et old school, mais conscient qu’un vent de progressisme est en train de faire bouger les mœurs américaines et que ses institutions (mariage, sexualité, hiérarchie…) ne peuvent plus contenir la poussée de sève d’une jeunesse encore sous cloche.

Le film bascule ainsi dans le polar quand la fille de Randall décède suite à un avortement. Un des médecins de l’hôpital, d’origine asiatique, est envoyé en prison, et Carey est persuadé qu’il n’est pour rien dans cette «opération clandestine», œuvre visible d’un boucher plutôt que d’un praticien roué. L’avortement est encore un sujet tabou à l’époque — 1972 — mais Edwards ne tombe jamais dans le film à thèse. Plus subtilement, il montre à quel point l’Amérique se voile la face devant les nouvelles formes de sexualité des années 70. Carey lui-même dit à un moment que «plus personne ne se marie de nos jours» et ne s’effarouche pas quand la jeune fille qui partageait son dortoir avec la victime déballe en se pinçant le nez l’exhibitionnisme et les mœurs très libres de son ancienne "amie". Et lorsqu’on tente de le faire chanter en prenant des photos de sa liaison adultère avec sa collègue, Carey s’empresse de faire développer et agrandir le cliché pour l’exposer dans le bureau de la direction.

Le film doit du coup se risquer à représenter à l’écran la violence de son sujet. Il prend quelques gants, certes, mais n’hésite pas à mettre en scène avec une précision glaciale une des premières scènes d’autopsie réaliste de l’histoire du cinéma. On sent que la censure, comme la morale conservatrice, est en train de céder et Edwards semble sur les starting blocks pour profiter de cette libération figurative.

Cela étant, à partir de ce scénario qui fleure quand même bon la commande — anecdote, il est tiré d’un des premiers romans de Michael Crichton — il déploie une mise en scène d’une efficacité redoutable, et non exempte d’audaces formelles. On songe notamment à ce plan-séquence très wellesien où l’action est rythmée par une souris grattant à l’intérieur d’un bocal en verre au premier plan. Et si le film faiblit sa résolution approchant, on y trouve toujours une séquence spectaculaire ou une idée dérangeante pour faire avaler la pilule. Opération clandestine a certes des allures de série B, mais l’élégance avec laquelle Edwards et Coburn transcendent le matériau initial vaut mieux que beaucoup de films A contemporains.

Christophe Chabert

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