Jimmy P.

Jimmy P.
D'Arnaud Desplechin (Fr, 1h54) avec Mathieu Amalric, Benicio del Toro...

Changement d’époque et de continent pour Arnaud Desplechin : dans l’Amérique des années 50, un ethnologue féru de psychanalyse tente de comprendre le mal-être d’un Indien taciturne. Beau film complexe, Jimmy P. marque une rupture douce dans l’œuvre de son cinéaste. Christophe Chabert

Quelque part dans les plaines américaines au début des années 50 ; James Picard, Indien Blackfoot ayant combattu sur le front français durant la Deuxième Guerre mondiale, souffre depuis de vertiges et de malaises à répétition. Interné dans un hôpital, on diagnostique sa schizophrénie, sans toutefois trouver de lésions cérébrales. Les médecins décident de faire appel à l’ethnologue français Georges Devereux, spécialiste des tribus indiennes mais aussi adepte des méthodes freudiennes, qu’il entend appliquer pour éclaircir le cas Jimmy P.

Le dépaysement que provoque le nouveau film d’Arnaud Desplechin tient autant à la transplantation de son cinéma dans un espace résolument en rupture avec ses films précédents, qu’à l’inflexion qu’il donne dès les premières images à sa mise en scène. Comme si la confrontation avec l’Amérique était aussi une confrontation avec le cinéma américain, Desplechin s’inscrit ici dans une lignée classique qui irait de Ford à Eastwood. Cette quête de fluidité et d’élégance peut dérouter au premier abord ; mais la recherche de la simplicité est un des enjeux narratifs de Jimmy P., et elle se fait à travers un pourtant complexe et tortueux chemin où la parole est une action.

L’échange

Desplechin a toujours tourné autour du travail psychanalytique — Paul Dedalus dans Comment je me suis disputé… apparaissait aux premières images sur le divan de son psy. Ici, il est à la fois le centre et le moteur du film, et toute l’ambition de la mise en scène est d’en reproduire les phases, de l’euphorie à la détresse, du doute à la prise de conscience. La clé de l’édifice tient dans ce qu’échangent Devereux et Picard : d’abord de la confiance, puis de la gratitude, et enfin la compréhension de ce qui les unit.

Si Picard finit par identifier la source de son trauma — en l’occurrence, plusieurs figures féminines qui sont autant de plaies mal cicatrisées — Devereux entretient lui aussi des rapports complexes avec le sexe opposé. Plus latent encore, chacun transporte avec lui le déracinement d’un peuple — indien pour Picard, juif pour Devereux — mais refuse d’en être le porte-parole. Ce qui, en fin de compte, scelle leur amitié, c’est la sensation d’être des gens doués de bonté, bonté qu’ils reconnaissent mutuellement chez l’autre. Ça pourrait être naïf, mais ça ne l’est jamais, car Desplechin fait tout transiter par son duo d’acteurs, rencontre aussi improbable que celle qui se joue dans la fiction, mais qui finit par sonner comme une évidence : deux grands comédiens qui partagent une même générosité de jeu.

Jimmy P.
D’Arnaud Desplechin (Fr, 1h52) avec Benicio Del Toro, Mathieu Amalric…

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