Ida


Dans la Pologne communiste des années 60, une jeune fille qui souhaite devenir nonne part sur les traces de ses origines et réveille les fantômes de la Deuxième Guerre mondiale. Parfait sur tous les points, le film de Pawel Pawlikowski ne parvient que tard à briser sa maîtrise pour faire surgir l’émotion. Christophe Chabert

Dès ses premières images, splendidement cadrées — et souvent décadrées ­— en 4/3 dans un noir et blanc numérique aux contrastes sublimes, Ida affirme son désir de perfection. Ce n’est pas qu’une question de composition photographique : la description des rites religieux auxquels se plie son héroïne, qui aspire à devenir nonne, semblent aussi soumis à un timing méticuleux de la part de Pawel Pawlikowski, cinéaste polonais qui revient ici dans son pays natal… Tout au long du film, ce contrôle absolu ne sera jamais pris en défaut. Aucun plan ne semble louper sa juste durée, tous sont pensés avec au minimum une idée forte de mise en scène — l’action qui se déporte de l’avant à l’arrière-plan, le jeu des regards et des gestes, eux aussi calculés à la nanoseconde près, comme si les acteurs avaient avalé un métronome…

Exercice de style ? Pas seulement, car Ida brasse aussi une foule de sujets, de l’historique à l’intime, avec une ampleur romanesque d’autant plus remarquable que le métrage est très court (79 minutes seulement). La Pologne communiste, les exactions commises par les catholiques sur les juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale, la quête identitaire, la foi, l’apprentissage amoureux… Le scénario est donc lui aussi une sorte de patron à étudier dans les écoles ; Pawlikowski sait évoquer les choses sans les souligner, parvient à faire reposer chaque séquence sur un conflit dramatique, intérieur ou extérieur, réussit à faire progresser l’action et l’enquête comme dans n’importe quel bon polar avec son lot de révélations et de coups de théâtre, dresse des micro-intrigues qui enrichissent le fil principal sans jamais égarer le spectateur…

Admirable ! Admirable !

Aussi rigide que la démarche du cinéaste, Ida ­— citons le nom de cette comédienne à la photogénie elle aussi renversante, Agata Trzebuchowska — traverse donc avec sa tante, une juge déçue et déchue devenue alcoolique, un bout de Pologne grisâtre et sous surveillance à la recherche de ses racines familiales. Le personnage est absolument opaque, peu bavard, et retient toute forme d’émotion, parfait reflet du film dans son entier, qui attend le dernier plan pour dévisser enfin la caméra de son pied et laisser un tremblement envahir l’écran et un sourire s’épanouir sur le visage d’Ida. Un peu tard sans doute pour faire du film autre chose qu’une belle œuvre d’art écrasée par son intimidante maîtrise.

Ida
De Pawel Pawlikowski (Pologne, 1h19) avec Agata Kulesza, Agata Trzebuchowska…

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