La Belle jeunesse

La Belle jeunesse
De Jaime Rosales (Esp, 1h43) avec Ingrid García Jonsson, Carlos Rodríguez (II)...

Jaime Rosales poursuit son chemin très personnel fait d’expérimentations formelles et de constat socio-politique sur l’Espagne actuelle, même si "La Belle jeunesse", hormis quelques éclairs de génie dans la mise en scène, patauge un peu dans un naturalisme éventé. Christophe Chabert

Filmer la crise en Espagne, ses conséquences sur une jeunesse qui tente, malgré les impasses sociales, d’avancer et d’élaborer un projet d’avenir : c’est l’ambition de Jaime Rosales et c’est plutôt étonnant de le voir viser si frontalement une question d’actualité. Jusqu’ici, son cinéma parlait de son pays de biais, à travers des dispositifs formels très forts : les split screens de La Soledad, les plans séquences au téléobjectif d’Un tir dans la tête, le noir et blanc et les ellipses de Rêve et silence. Cinéaste passionnant, Rosales est aussi un metteur en scène aventureux et en quête d’expérimentations.

Sa façon de suivre Natalia et Carlos, le couple de La Belle jeunesse, en quête laborieuse de jobs foireux et mal payés, surprend donc par le cliché visuel qui lui sert de forme : caméra à l’épaule et image HD mal éclairée, soit l’ordinaire d’un naturalisme dont nous Français avons sérieusement fait le tour. Rosales tient donc la chronique de cette jeunesse mal barrée sans lui offrir aucun point de fuite ni dans l’intrigue, ni dans la mise en scène. Et quand Natalia et Carlos décident de tourner ensemble un porno amateur pour arrondir leurs fins de mois, la séquence est plus gênante qu’autre chose, Rosales prenant la place du réalisateur et faisant sienne des images destinées à une exploitation crapoteuse sur Internet.

No futuro

Mais soudain, sans prévenir, le voilà qui accélère son récit non par une ellipse, mais par une idée extraordinaire : raconter un pan de la vie du couple — en l’occurrence la naissance d’un enfant — en allant éplucher leur téléphone portable. SMS, selfies, vidéos, mails : tout cela défile à l’écran comme un petit film expérimentant un nouveau mode de narration. Rosales parvient enfin à rentrer dans le quotidien de ses personnages et à capter quelque chose d’une génération qui tient le journal d’elle-même sans s’en rendre compte.

En se faisant l’archiviste de sa propre fiction, il crée à l’écran une sensation d’inédit qu’il reproduira avec le même brio plus tard dans le film. Entre temps, c’est la séparation et l’exil que Natalia choisit, direction l’Eldorado allemand. Mais passé l’émerveillement initial, c’est une autre violence sociale qui la rattrape. Rosales boucle sa boucle par un dernier plan qui en dit long sur le no futuro de la jeunesse espagnole, même si on peut aussi trouver qu’il choisit là une forme de facilité à la limite de la complaisance.

La Belle jeunesse
De Jaime Rosales (Esp-Fr, 1h42) avec Carlos Rodriguez, Inma Nieto…

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