Charlie's Country

Charlie's Country
De Rolf De Heer (Austr, 1h48) avec David Gulpilil, Peter Djigirr...

Rolf De Heer filme le voyage crépusculaire de son comédien David Gulpilil comme un miroir du destin des aborigènes australiens et bouscule la beauté de ses images par une vision sombre mais pas désespérée d’une culture en voie d’extinction. Christophe Chabert

Charlie’s Country pourrait s’appeler Voyage au bout de la nuit, si le titre n’était déjà pris. Le trajet du héros est d’abord celui de son comédien, David Gulpilil, seule star aborigène du cinéma australien, révélé par Nicolas Roeg dans Walkabout et magnifié par Peter Weir dans La Dernière Vague. Compagnon de route de Rolf De Heer depuis l’inédit The Tracker, Gulpilil a sombré dans l’alcoolisme et atterri en prison, sort que beaucoup d’autres aborigènes de sa région ont connu — un destin qui rappelle évidemment celui des Américains natifs. Charlie’s Country effectue ainsi des allers-retours entre la fiction vécue par le personnage et le portrait de son comédien, entre l’histoire intime qu’il raconte et les échos qu’elle suscite par rapport à l’Histoire australienne.

Charlie est d’abord présenté comme un individu bizarre : il retire de l’argent, mais le redistribue au reste de sa communauté ; il taxe des clopes, mais finit par les laisser brûler dans le feu avec lequel il se chauffe ; il se moque des policiers blancs et de leurs lois idiotes, mais il ne peut se résoudre à entrer en conflit ouvert avec les autorités. Sa «terre» n’est plus vraiment sa «terre» et il décide de la quitter pour un voyage à travers la forêt qui le laissera au bord de la mort.

Australie, année zéro

Il suffit à Rolf de Heer de filmer en quelques gros plans saisissants le visage de Gulpilil pour en faire un témoignage vivant de ce que sa communauté a traversé. Lorsqu’il le met à nu, dans un plan déchirant où on lui rase barbe et cheveux longs, il révèle chez lui une douleur et une rage jusqu’ici contenues. La douceur de la mise en scène, sa façon de magnifier une Australie sauvage au bord du chromo touristique, est ainsi bousculée par la poussée de noirceur du récit : Charlie échoue dans un camp précaire en bordure de la ville où l’alcool semble être l’alpha et l’omega de ces vies brisées, puis dans une prison où la monotonie des jours se traduit par un montage qui répète musicalement les mêmes gestes désincarnés — du linge jeté dans une machine, une louche qui remplit les assiettes…

Le temps ne coule plus comme dans la première partie, mais se rétracte en un cycle sans issue ; De Heer choisit cependant de délivrer Charlie, et Gulpilil avec lui, de ce désespoir en ranimant le feu de sa culture moribonde. Geste humaniste, mais aussi hautement cinématographique, qui consiste à faire d’un film la trace historique d’un passé qui n’entend pas disparaître.

Charlie’s Country
De Rolf De Heer (Australie, 1h48) avec David Gulpilil, Luke Ford…

à lire aussi

derniers articles publiés sur le Petit Bulletin dans la rubrique Musiques...

Mardi 31 octobre 2023 Le festival Lumière vient de refermer ses lourds rideaux, les vacances de la Toussaint lui ont succédé… Mais ce n’est pas pour autant que les équipes de (...)
Mardi 31 octobre 2023 Si le tourisme en pays caladois tend à augmenter à l’approche du troisième jeudi de novembre, il ne faudrait pas réduire le secteur à sa culture du pampre : depuis bientôt trois décennies, Villefranche célèbre aussi en beauté le cinéma francophone....
Mardi 5 septembre 2023 C’est littéralement un boulevard qui s’offre au cinéma hexagonal en cette rentrée. Stimulé par un été idyllique dans les salles, renforcé par les très bons débuts de la Palme d’Or Anatomie d’une chute et sans doute favorisé par la grève affectant...
Mardi 29 août 2023 Et voilà quatre films qui sortent cette semaine parmi une quinzaine : N° 10, La Beauté du geste, Alam puis Banel & Adama. Suivez le guide !
Lundi 5 septembre 2022 Bien qu’il atteigne cette année l’âge de raison avec sa 7e édition, le Festival du film jeune de Lyon demeure fidèle à sa mission en programmant l’émergence des (...)
Mercredi 17 août 2022 Et si Forrest Gump portait un turban et dégustait des golgappas plutôt que des chocolats ? L’idée est audacieuse mais aurait mérité que le réalisateur indien de Laal Singh Chaddha se l’approprie davantage. Si l’intrigue réserve forcement peu de...
Mercredi 11 mai 2022 Alors que son film posthume Plus que jamais réalisé par Emily Atef sera présenté dans la section Un certain regard du 75e festival de Cannes, l’Aquarium (...)
Vendredi 13 mai 2022 Fruit du travail de bénédictin d’un homme seul durant sept années,  Junk Head décrit en stop-motion un futur post-apocalyptique où l’humanité aurait atteint l’immortalité mais perdu le sens (et l’essence) de la vie. Un conte de science-fiction avec...
Mardi 26 avril 2022 Les organisateurs d’On vous ment ont de le sens de l’humour (ou de l’à propos) puisqu’ils ont calé la septième édition de leur festival pile entre la présidentielle et les législatives. Une manière de nous rappeler qu’il ne faut pas tout...

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X