Berlinale 2015, jour 1. Ouverture polaire.

"Nobody wants the night" d’Isabel Coixet.

Nous voilà donc de retour à Berlin, accueilli par la neige, mais toujours enchanté par l’organisation toute germanique d’un festival absolument titanesque, avec 170 films dans les diverses sections et une ouverture au public autant qu’aux professionnels.

La Berlinale reste sur une édition 2014 très réussie, même si, c’est connu, sa compétition est toujours un peu de bric et de broc. Toujours est-il qu’à N+1, force est de constater que deux films de la sélection 2014 — The Grand Budapest hotel et Boyhood — se retrouvent dans la course à l’oscar du meilleur film, et que son ours d’or — Black coal — a révélé un cinéaste sur lequel il faudra compter dans les années à venir. On n’oublie pas non plus que c’est à Berlin qu’on a découvert deux films français importants de la saison, Dans la cour de Pierre Salvadori et L’Enlèvement de Michel Houellebecq de Guillaume Nicloux qui, même s’il n’est passé que sur arte, a suscité un buzz justifié. Sans oublier ce qui, à l’époque, n’était pas encore le chant du cygne d’Alain Resnais …

Qu’en sera-t-il de l’édition 2015 ? D’abord, le jury, présidé par Darren Aronofsky, où l’on trouve des gens aussi talentueux que Bong Joon-ho, Audrey Tautou ou Matthew Weiner — le créateur de Mad Men, qui présentera son premier long en séance spéciale au festival. Quant à la compétition, elle affiche deux monstres sacrés à son programme : Werner Herzog avec Queen of the desert et surtout Terrence Malick pour Knight of cups, dont l’annonce en sélection fut une divine surprise. Mais il faudra aussi guetter les nouveaux films de Jafar Panahi (Taxi), Benoît Jacquot (Journal d’une femme de chambre, avec Léa Seydoux et Vincent Lindon), Alexei Guerman Jr, Jiang Wen ou, hors compétition, le dernier Wim Wenders, Every thing will be fine, tourné en 3D, avec Charlotte Gainsbourg et James Franco. Une des stars de cette édition sera sans doute Robert Pattinson qui, en plus de figurer au générique du Herzog avec Nicole Kidman, tient l’affiche de Life, le (déjà) nouveau film d’Anton Corbijn, présenté en séance spéciale.

Juliette dans la neige

Voilà pour le survol rapide de ce programme — ce blog sera là pour le détailler et le commenter au fil des jours. La Berlinale a débuté hier soir par la projection du film d’ouverture, Nobody wants the night de l’Espagnole Isabel Coixet. On le sait : trouver un film d’ouverture dans un festival international est une équation complexe à résoudre, puisqu’il faut que celui-ci possède en son sein une ou plusieurs vedettes et qu’il ne plombe pas trop l’ambiance festive du soir. L’an dernier, The Grand Budapest hotel avait rempli le contrat au-delà de toutes attentes, puisqu’en plus de tout ça — les stars, l’allégresse — c’était un putain de chef-d’œuvre, l’aboutissement provisoire de la carrière de Wes Anderson. On n’en dira pas autant de ce Nobody wants the night

Niveau star, c’est Juliette Binoche qui s’y colle, et à lire les gros titres de la presse allemande hier matin, pas de doute que sa venue sur le tapis rouge est un événement. Sa cote d’amour internationale est manifestement au plus haut, et on ne contestera pas la chose, même si on va quand même casser un peu le consensus dans les lignes qui suivent. Quant au film, même si a priori il n’y a rien de drôle à raconter l’histoire de la femme fidèle et dévouée d’un homme, Robert Peary, qui décida, au début du XXe siècle, d’être le premier homme à conquérir le pôle nord, Coixet fournit sa grosse dose d’exotisme et de paysages enneigés, de chiens de traîneaux, de grandes robes d’époque et de bon goût culturel et historique pour rendre l’affaire acceptable pour un public de gala. À la condition, toutefois, qu’il ne soit pas trop regardant sur le niveau cinématographique de l’affaire.

Car, levons tout de suite le lièvre, Nobody wants the night est à peu de choses près une catastrophe. Sa tentative de romanesque historique est par exemple tuée dans l’œuf par la mise en scène de Coixet, qui n’a absolument aucun sens du spectacle, et préfère multiplier les gros plans plutôt que d’aérer son récit en l’inscrivant dans les éléments, pourtant déchaînés, qui en forment la toile de fond. En même temps, quand elle s’essaye à filmer une avalanche, le résultat est tellement paresseux qu’on préfère encore qu’elle s’enferme dans une baraque ou dans un igloo…

Le scénario n’est pas en reste, qui avance par de grands coups de théâtre qui semblent avoir été imaginés l’année où se déroule le film (1908). Sans parler de la voix-off et, surtout, du déluge de dialogues sentencieux et démonstratifs, notamment dans la deuxième heure, resserrée sur l’affrontement entre Joséphine Peary et Allaka, la jeune inuit que son mari avait pris pour maîtresse. Chaque fois que l’une ou l’autre ouvre la bouche — Joséphine en anglais châtié, Allaka dans une langue qui est l’équivalent au pôle nord du p’tit nègre dans le sud des USA, mais qui fait plutôt penser aux babilles de Jar Jar Binks dans Star Wars — c’est pour mesurer à coups de grandes phrases la distance qui sépare la culture de l’une — l’instinct de propriété, même humaine — de l’autre — la naïveté de la sauvage qui vit encore proche de la nature. Autant dire que pour les amateurs de poncifs, il y a de quoi se régaler. Et pour les faire se rapprocher, plutôt que de jouer sur la sensualité ou la solidarité féminine, il faut en passer par un symbole bien balourd — qu’on ne révèlera pas, spoiler oblige. Coixet a la main leste, et si elle pensait faire un grand film d’aventures à la David Lean, on peut dire que c’est absolument, totalement, superbement foiré.

Et Binoche, donc ? Pas de doute qu’elle donne ici ce qu’on peut appeler une performance, mais qu’on pourrait tout simplement taxer de numéro. Dès le début, elle endosse les habits de la grande actrice qui joue, en Anglais, une bourgeoise bon teint perdue dans le grand Nord, avant de faire progressivement craquer toutes les coutures et de retourner à un état de nature, sans oublier d’en passer par l’étape de la femme bafouée. Dans cette deuxième moitié, Binoche va clairement jouer sur un terrain "adjanien", mais on mesure vite la différence (énorme) entre les deux actrices : quand elle se roule en pleurant et en mangeant de la neige pour figurer le désespoir, quand elle tente de briser un mur de glace ou lorsqu’elle finit par manger de la viande crue, on ne voit qu’une démonstration un peu gênante à force d’être soulignée. De plus, depuis qu’elle a tourné avec Bruno Dumont, il semble qu’elle ait pris goût à jouer sans maquillage, au naturel, même si ici, on soupçonne surtout l’exploit d’un maquilleur spécialisé es crado pour lui donner cernes et cheveux filasses. Comme dans Sils Maria, il suffit qu’un comédien plus sobre et peut-être moins soucieux de sa propre postérité débarque à l’écran pour lui voler la vedette : ici, c’est Gabriel Byrne qui, malgré son passage éclair dans le récit, n’a aucun mal à imposer, sans en faire des tonnes, son personnage.

On a vu trois autres films hier à Berlin en plus de cette semi-purge, tous tirés de la sélection du Forum, mais les règles strictes du festival — pas de critique avant le lendemain de la présentation officielle — nous interdisent d’en causer pour l’instant. Ce sera pour les jours à venir, même si ceux-ci s’annoncent particulièrement chargés !

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