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Fellini, un cinéaste dans la ville

Monument d’un certain âge d’or pour le cinéma italien mais aussi poète de son crépuscule, Federico Fellini, à qui l’Institut Lumière consacre une rétrospective jusqu’au 3 mai, a construit une œuvre dont les mutations sont intimement liées aux territoires qu’il a investis. Christophe Chabert

À sa mort, Federico Fellini fut célébré comme un trésor national par les Italiens, tout comme le sera, dix ans plus tard, Michelangelo Antonioni. Il faut dire que son œuvre a participé d’un âge d’or de la cinématographie transalpine, ayant traversé ses modes avant de constater son crépuscule, bouffé par la berlusconisation rampante de l’audiovisuel. Depuis, ses films sont regardés comme des classiques intemporels, des miracles d’équilibre entre la patte unique d’un artiste et la générosité d’un pourvoyeur de spectacles populaires.

On a l’habitude de la séparer en trois parties : du Cheik blanc aux Nuits de Cabiria, y règne l’influence d’un néo-réalisme qu’il cherche à transcender ; à partir de La Dolce Vita, c’est l’époque des chefs-d’œuvre à la folie baroque et onirique ; et, de La Cité des femmes à son ultime et décevant La Voce della Luna, Fellini se retourne sur son propre cinéma avec mélancolie, pressentant à la fois la disparition d’une époque et la sienne. Mais ces trois temps sont aussi trois manières d’arpenter les territoires, de lier ensemble le geste artistique et son inscription géographique.

La ville fantôme

Dans Les Vitelloni (1953), récit partiellement autobiographique où une poignée de jeunes désœuvrés errent dans une station balnéaire, la ville est un espace concret et fantomatique, une prison à ciel ouvert dont on ne pense qu’à s’échapper, mais qui finit toujours par rattraper les personnages. Tourné dans un assemblage de décors réels pour les extérieurs — dont la plage d’Ostie, celle où fut assassiné Pasolini — permettant à Fellini de créer de toutes pièces cette petite ville imaginaire à la morte saison, le film est comme ses protagonistes : on sent qu’il a la tête pleine de rêves, mais c’est la réalité qui l’emporte ; le maquillage de clown se transforme en rictus grotesque, la griserie cède la place à la gueule de bois…

Dans son film suivant, La Strada (1954), Fellini adopte pour la seule fois de sa carrière la structure du road movie, suivant Gelsomina et Zampano dans la tournée de leur cirque ambulant à travers l’Italie. Dans ce mélodrame déchirant, le cinéaste traverse ses décors sans leur faire jouer de rôles particuliers : ce qui compte, c’est le chapiteau, cet endroit où le rêve s’englue dans la répétition et les aléas des rapports humains.

Il Bidone (1955), un de ses films les plus mésestimés, ne dira pas autre chose : derrière l’habit des trois prêtres — à leur manière, des vendeurs de rêve et d’espoir — se cachent trois escrocs pour qui seul compte l’appât du gain. Des personnages sans racine, dont deux d’entre eux sont d’ailleurs interprétés par des acteurs américains — Broderick Crawford et Richard Basehart.

La ville monde

Il faudra donc attendre que le cinéma de Fellini se trouve une attache géographique pour que, dans un joyeux paradoxe, il finisse par prendre son envol. C’est La Dolce Vita (1960), errance estivale d’un journaliste mondain à travers Rome et ses nuits peuplées d’artistes fantasques. Comme si la ville, ses lieux mythiques, ses endroits secrets et sa faune interlope devenaient sa seule source d’inspiration, Fellini jette au feu structure classique et réalisme social pour une liberté de ton et de forme qui formeront l’adjectif fellinien.

L’ouverture célèbre de Huit et demi (1963) montre un scénariste suffoquant dans sa voiture bloquée par un embouteillage, qui finit par s’en échapper en s’envolant dans le ciel. Ensuite, c’est dans une maison de repos qu’on le retrouvera, dépressif et cynique, faisant le point sur sa vie, son travail et les femmes qu’il a aimées.

Ce besoin de prendre de la hauteur pour réinventer le monde et se réinventer soi-même est au cœur de la période baroque de Fellini : Roma (1972), où il livre une vision qu’il revendique subjective de la capitale dans les années 70, et Amarcord (1973), où il se retourne sur son enfance à Rimini qu’il recrée dans les studios de Cinecitta pour pouvoir la déformer selon son bon plaisir et surtout ses fantasmes, sont les deux faces de ce Fellini cartographe de son imaginaire.

La ville cinéma

Dans la dernière partie de son œuvre, les villes de Fellini deviennent des microcosmes imaginaires, des lieux de résistance en marge du monde réel. On pense évidemment à La Cité des femmes (1980), qui projette le phallocrate Mastroianni dans une ville uniquement gouvernée par le "deuxième sexe" ; mais c’est aussi le bateau d’Et Vogue le navire (1983), arche de Noé où le monde du spectacle se rassemble pour autocélébrer son extinction prochaine. Dans Ginger et Fred (1986) et Intervista (1988), véritables chants du cygne, il pousse cette idée jusqu’à son point ultime : la star du film, c’est Cinecitta, la "ciné-ville", tantôt sanctuaire profané par la vulgarité télévisuelle, tantôt tombeau d’un art en voie de disparition. La mélancolie s’infiltre dans le cinéma de Fellini comme les lézardes sur des murs, le rendant plus bancal et précaire, à deux doigts de l’effondrement complet, comme s’il devait rejoindre les ruines antiques de cette Rome qu’il a tant aimée.

Rétrospective Federico Fellini
À l’Institut Lumière jusqu’au 3 mai

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