Hallucinations collectives : la politique des horreurs

Le festival Hallucinations collectives s’impose désormais comme un rendez-vous incontournable pour les cinéphiles lyonnais. Cette année, entre une compétition de films inclassables, des raretés empruntées à l’histoire bis du cinéma et l’invitation lancée à ce grand cinéphage de Christophe Gans, le festival poursuit son exploration d’une autre politique des auteurs. Christophe Chabert

L’important dans l’expression «politique des auteurs», disait avec un peu de retard et d’opportunisme François Truffaut, ce n’est pas le mot «auteurs» mais bien le mot «politique». Pourquoi citer l’institution truffaldienne en ouverture d’un papier sur ce festival tout sauf institutionnel qu’est Hallucinations Collectives ? Peut-être parce que ses organisateurs ont, mieux que personne, pris la précision du réalisateur du Dernier métro au pied de la lettre.

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Qu’on regarde, même d’un œil distrait, leur — fabuleuse, tant il n’y a strictement rien à jeter dedans — programmation de 2015, et cela sautera aux yeux : on y croise certes des grands noms acclamés bien au-delà des amateurs de cinéma de genre ou de films bis : Dario Argento, David Cronenberg, Mario Bava, Lucio Fulci et même Ridley Scott… Mais ils voisinent avec d’autres cinéastes souvent regardés comme mineurs, à tort ou à raison (Ruggero Deodato, Larry Cohen, Shinya Tsukamoto) sans parler de quelques parfaits inconnus (Wakefield Poole, Paul Donovan ou Piero Schivazappa) et des cinéastes débutants qui forment le bataillon d’une très alléchante compétition.

Cette mosaïque bigarrée dessine une forme d’itinéraire bis dans l’histoire du cinéma — et non pas d’itinéraire dans l’histoire du cinéma bis — ce que le président et programmateur du festival Cyril Despontin souligne dans son édito de présentation. Mais elle relève aussi d’une attitude clairement politique : contre l’aseptisation en cours de la société et l’infantilisation progressive du cinéma, le retour à l’ordre moral et la tentation de la censure ou de l’autocensure, ces films sauvages et inclassables nous rappellent que tant qu’il y a de la transgression, il y a de l’espoir.

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Nos plus fidèles lecteurs nous diront qu’on rabâche un peu le même couplet chaque année… Certes ; mais quand on voit un client à la FNAC se plaindre de la diffusion sur un petit écran muet du Blu-Ray de Massacre à la tronçonneuse, sous prétexte qu’un adolescent pourrait tomber dessus, ou les ligues de vertu réussir à obtenir une interdiction aux moins de 18 ans pour le Nymphomaniac de Lars Von Trier, on se dit qu’il est plus que temps de défendre les vertus cathartiques de ce cinéma frondeur, sans concession et qui balance de gros coups de genoux dans les parties des pudibonds de tout poil.

Mangez-vous les uns les autres

De toute façon, ce cinéma-là n’est jamais passé comme une lettre à la poste, au contraire. Ainsi, Cannibal Holocaust, que le festival présente dans une version restaurée — un paradoxe pour cette œuvre singulièrement craspec et fière de l’être — provoqua lors de sa sortie un procès où son réalisateur, Ruggero Deodato, fut accusé d’homicide, le film prenant soin de présenter sa fiction sous la forme d’un (faux) documentaire sur des ethnies africaines cannibales. Il inventait en fait la mode du found footage movie, qui aujourd’hui n’est plus que le repère facile des producteurs fauchés pour donner un caractère "expérimental" à leurs séries B éculées.

Avant de devenir un habitué respectable des sélections officielles au festival de Cannes, David Cronenberg était la cible fréquente des féministes radicales, qui lui reprochaient de faire des femmes les vecteurs de propagation du mal — amantes sexuellement contagieuses, mères névrosées et castratrices, dominatrices perverses…

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Dans Scanners, que le festival propose en illustration de son cycle consacré à la «Nouvelle humanité», Cronenberg montrait pourtant à quel point son projet n’était pas l’exploration des rapports contemporains entre les êtres, mais l’explosion à venir des frontières de l’humain, reconfigurant ainsi dans une optique héritée des théoriciens de la libération sexuelle et de la psychanalyse l’organisation de la société.

Ainsi, derrière ce stupéfiant film d’horreur qu’est Scanners, il y a une tragédie œdipienne avec un père monstrueux et des frères rivaux, mettant en cause les "progrès" d’une science dévoyée par son obsession à contrôler la vie. Le tout, évidemment, généreusement arrosé de sang et de têtes qui explosent…

Furieuses machines désirantes

Quelques années plus tard, au Japon, un enfant putatif du cinéma de Cronenberg et de la mode cyberpunk poussera cette idée d’une humanité reconfigurée par la technologie à son paroxysme. Avec le diptyque Tetsuo — dont le festival présente le deuxième volet — Shinya Tsukamoto invente l’homme-machine, agrégat de chair et de métal, de veines et de câbles. D’abord victime passive de sa propre monstruosité, cet être mutant va devenir un enjeu stratégique qui, telle la créature de Frankenstein, se retournera contre ceux qui l’ont créée.

Et le sexe dans tout ça ? Il y en aura à foison au cours du festival — qui consacre à l’Italie, renommée «mère de tous les bis» et grande patrie de l’exploitation en tout genre, un hommage gigogne — mais plus particulièrement dans ce qui est sans doute LA curiosité absolue de cette édition : Bijou de Wakefield Poole. Tourné en 1972, c’est un des premiers pornos gays "officiels", mais c’est en définitive beaucoup plus que ça : un film trip où fantasmes et fantastique, pulsion sexuelle et pulsion scopique se mélangent dans une partouze visuelle et psychédélique so 70’s.

Politique des horreurs, a-t-on titré ce papier. Mais Hallucinations collectives pratique aussi, pour notre bonheur et la fulmination des puritains, la politique de l’amour (physique) — et tant pis pour le jeu de mots truffaldien.

Hallucinations collectives
Au Comœdia jusqu’au 6 avril

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