"De toutes mes forces" : un grand film sur l'univers social

De toutes mes forces
De Chad Chenouga (Fr, 1h38) avec Khaled Alouach, Yolande Moreau...

de Chad Chenouga (Fr, 1h38) avec Khaled Alouach, Yolande Moreau, Laurent Xu…

Lycéen dans un quartier bourgeois, Nassim vit seul avec sa mère dépressive. Lorsqu’elle meure subitement, l’adolescent est placé dans un foyer mais le cache à son entourage. Refusant la main tendue du monde éducatif et d’être assimilé aux “cas sociaux”, il perd ses repères, puis pied…

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Quinze ans après une première tentative autobiographique bancale, 17 rue Bleue, Chad Chenouga réussit un admirable portrait d’une jeunesse en souffrance, allant bien au-delà de son expérience personnelle : il réactualise ici les faits afin qu’ils collent à la situation contemporaine.

On suit tous les degrés du malaise existentiel du fier Nassim, nourri de culpabilité et de révolte ; son humeur erratique le poussant à rejeter ceux qui l’aident, qui l’aiment. Chenouga montre ce caméléon écartelé, abandonnant de sa morgue pour être accepté par ses commensaux du foyer. Mais conservant les richesses inaliénables qui lui permettront de rebondir : les mots qu’il possède — c’est-à-dire ses viatique et sésame pour une vie meilleure — et les souvenirs de sa mère (photo, vêtements, messages), rappel à l’ordre d’un passé malgré tout plus heureux. Protégé par ces fragments poétiques comme une chrysalide veillée par une éducatrice formidable d’humanité (Yolande Moreau), Nassim se réalisera.

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Après Ma vie de courgette et La Tête haute, on tient là un nouveau grand film sur l’univers social, où Chenouga transfigure son passé, s’en guérit sans doute, sans nous ensevelir sous le pathos. Bravo.

Chad Chenouga : « Ce qui m’a sauvé, c’est le rapport aux autres »

Parmi les belles surprises des 7e Rencontres du Sud d’Avignon figurait le second film de Chad Chenouga, De toutes mes forces. Rencontre avec un auteur en paix avec son passé.

Comment est née l’envie de raconter cette histoire, qui est inspirée de la vôtre ?

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Chad Chenouga : Il y a en effet du vécu : j’ai été placé à la suite du décès de ma mère. C’est ce ce moment très dense, où j’ai été dans un foyer de l’aide sociale à l’enfance (qui s’appelait la DDASS à l’époque) qui est raconté par le film. Mon envie reposait sur l’idée d’adapter cette histoire à aujourd’hui — car il ne s’agissait pas de refaire un film daté — en transposant La Niaque, une pièce que j’avais écrite et jouée en 2011/2012 aux Amandiers à Nanterre.

Mais avant d’arriver à concrétiser le film, j’ai fait un long travail d’investigation et d’“immersion” dans des foyers. Non seulement pour effectuer un travail d’improvisation avec des jeunes, mais aussi pour rencontrer les travailleurs sociaux (éducateurs, chefs de services, directeurs…), car il y a de sacrées différences entre mon époque et aujourd’hui.

Lesquelles ?

CC : La mixité par exemple, qui change la donne : à mon époque, on n’était qu’entre garçons. Et puis aujourd’hui, il y a moins de moyens. J’ai eu envie de mettre en avant le fait que, par conséquent, c’est plus dur : la prise en charge s’arrête à 18 ans en général. Dans certains département, elle peut parfois aller jusqu’à 21 ans d’une manière exceptionnelle pour les études longues — mais c’est très rare. Moi, j’ai eu la possibilité de faire des études assez longues : un 3e cycle d’économie, j’ai été à Sciences Po à Paris à l’époque où il y avait peu de gens issus de classes sociales modestes. À l’époque, tant que l’on passait et qu’on avait un projet éducatif, on essayait de vous aider. Ce n’est plus pareil à présent.

Vous vous en êtes “sorti”. Pourquoi certains y parviennent et pas d’autres ?

CC : J’ai pas d’explication. C’est assez mystérieux. Le terme à la mode, la résilience, est un sujet très intéressant… J’ai de la chance : même si ce que je pouvais vivre était hard avec ma mère, j’avais la sensation d’avoir été aimé par elle, même si elle était barrée. C’est une force inestimable. Mon frère, qui a été placé avant, n’a pas cette sensation. Et puis j’était à Paris, donc j’avais accès aux choses. Quand j’ai eu envie de devenir artiste, je me suis dit que c’était possible parce que j’en connaissais. Après, il y a eu des rencontres, même brèves, comme Marcel Jullian. J’avais écrit un scénario et il voulait me rencontrer. Il avait une petite maison d’édition de poésie, et m’a conseillé d’écrire sur des choses plus personnelles. Ça m’a interpellé et j’ai suivi son conseil. On ne se rend pas compte de l’impact que peuvent avoir certaines rencontres.

Votre cinéma a considérablement évolué depuis votre premier film, 17 rue Bleue (2001). Si le premier était resserré, De toutes mes forces lorgne presque vers la saga…

CC : C’est vrai. Les deux personnages d’adolescentes du foyer mériteraient d’être plus fouillées, notamment celui de Mina : ça serait intéressant d’en savoir plus sur elle… Mais c’est normal : je suis plus âgé, j’ai plus de distance. Cela fait des années que je n’ai pas revu 17 rue Bleue. Si je devais le refaire, j’aurais un parti pris encore plus radical.

En insistant sur le huis clos ?

CC : Oui, plus étrange, plus kafkaïen, parce que j’adore ça. J’ai l’impression d’être plus mature. Pour De toutes mes forces, on a travaillé au cours d’ateliers avec des jeunes qui existaient vraiment, que nous avions choisis, et nous avons fait des allers-retours entre le scénario et la vie. Peut-être qu’il y a quelque chose de plus vivant, de moins figé.

Vous faites intervenir la photo de la mère comme un personnage à part entière…

CC : C’est par cette photo que passe la question de la culpabilité, et la présence de la mère comme un fantôme — par ses habits et les écrits qu’il peut lui faire, également. Je voulais qu’on se rende compte qu’elle changeait d’expression sur la photo par un procédé cinématographique. C’est une photo et en même temps, elle vit en lui ; elle le juge, elle le jauge. Elle peut être apaisée si lui se sent apaisé… La comédienne qui joue la mère n’est venue qu’un jour sur le tournage pour jouer ses scènes, faire les photos et le gros plan. Mais elle est présente durant tout le film. Vous savez, je me sentirai tout le temps coupable de ne pas avoir été au chevet de ma mère, de ne pas avoir compris sa douleur. Ce qui m’a sauvé, c’est le rapport aux autres.

Et le cinéma ?

C.C : Également. Récemment, je suis allé voir Ma vie de courgette avec ma fille, qui ne connaît pas trop les aspects hard de mon histoires. Il génial ce film, je l’ai trouvé hyper émouvant — je vous promets que je n’ai pas plagié ! (rires) J’étais content que ça lui ait plu.

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