Nathalie Baye : « Quand je tombe, je tombe vraiment »

Les Gardiennes
De Xavier Beauvois (Fr, 2h14) avec Nathalie Baye, Laura Smet...

Les Gardiennes / Pour sa troisième collaboration avec Xavier Beauvois, Nathalie Baye incarne la matriarche d’une ferme tentant de préserver ses terres alors que la Grande Guerre fait rage. Rencontre avec une comédienne drôle et investie.

C’est plutôt rare de vous voir dans un film d’époque…
Nathalie Baye : Il y a très longtemps, j’avais fait L’Ombre rouge, un film improbable de Jean-Louis Comolli qui se passait pendant la dernière guerre, Et puis j’avais fait le Moyen Âge avec Le Retour de Martin Guerre — mais Laura n’était pas née (rires). Je me souviens qu’à l’époque, l’équipe maquillage-coiffure m’avait fait essayé des trucs, et que j’étais effondrée : on aurait dit Mamie Nova (rires) ! Pour Les Gardiennes, on a cherché. Une fois qu’on a trouvé le juste équilibre, c’était merveilleux. Car lorsque que vous arrangez les cheveux et le maquillage d’une manière particulière, que vous sentez le poids du costume, une partie du travail est faite. Et toute la gestuelle suit. Quand je me rhabillais “normalement”, je ne marchais plus du tout de la même manière.

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Vos gestes étaient-ils à ce point différents ?
On marche, on bouge différemment… On devient ce qu’on doit être au moment d’interpréter ses personnages. Quand je laboure dans le film, je laboure vraiment ; quand je tombe, je tombe vraiment. Il [Xavier Beauvois, NDLR] ne coupait pas, l’enfoiré (rires) ! Je me suis cassé la figure bien des fois pendant les répétitions : on ne se rend pas compte, mais une charrue tirée par deux bœufs, c’est beaucoup plus difficile qu’un cheval de trait. Surtout dans les sillons de terre bien dure, car la charrue est extrêmement lourde. Quand je suis tombée, comme il ne coupait pas, je devais ronchonner à l’intérieur… Mais grâce à cela, ça m’a mise en connexion avec cette femme. J’ai réalisé l’âpreté, la difficulté de sa vie : en plus de faire les travaux physiques des hommes, elle avait la peur au ventre pour ses deux fils et son gendre à la guerre.

Là où l’on a tourné, dans cette très belle campagne à la lisière de la Creuse, de la Haute-Vienne et de l’Indre, on voit dans le moindre petit village des monuments aux morts avec parfois 70 ou 80 noms. En Creuse, il y a même l’un des rares monuments aux morts contre la guerre, avec un petit garçon brandissant le poing et l’inscription : « maudite guerre ! »

Hortense change : pour sa famille, cette femme ouverte va renoncer à ses convictions…
Oui. C’est-à-dire qu’elle protège ; elle fait ce que les hommes sans doute auraient fait : défendre le patrimoine. Si elle n’agit pas de la sorte, ses terres risquent de se disperser. Elle le fait contre son désir profond et contre sa conscience. Et du reste, elle le paiera toute sa vie… Ces femmes n’avaient pas le choix : elles avaient la culpabilité et la douleur. Depuis, ce n’est pas un siècle qui est passé, mais bien trois. Vu l’évolution des femmes et de la vie.

Avez-vous été surprise que Xavier Beauvois vous confie ce personnage d’Hortense ?
Venant de Xavier, je ne suis pas surprise. D’abord, je le connais bien : il sait qu’on a une très grande confiance mutuelle et que si je m’étais sentie incapable de faire ce rôle-là, je le lui aurais dit — et s’il avait pensé que c’était un coup de poker, il ne me l’aurait pas proposé. Notre relation est trop limpide. Mais ce qu’il y a de très curieux, c’est qu’un autre réalisateur, Damien Odoul, a cherché pendant un moment sans succès à adapter ce livre de Perrochon, et qu’il est venu me voir. C’est étrange, hein ? Je me demande ce que ça veut dire (rires). Je suis vraiment une vieille taupe ! (rires)

Les femmes vieillissaient plus vite à l’époque, c’étaient des caractères forts. Et plus je fais des choses différentes, plus j’aime mon métier. Au début, quand on m’offrait toujours le même genre de rôle, je refusais. Aujourd’hui, on me propose tellement de choses différentes, des comédies, des trucs sombres ou de dingues… Donc je les prends. (sourire) Sinon, le désir fout le camp. Dans Pour la fin du monde, Dolan m’a proposé aussi un rôle haut en couleurs, et j’ai été arrangé physiquement. Et pour le démaquillage, c’était encore plus long (sourire).

Xavier Beauvois dit être passé par vous pour attribuer le rôle de votre fille à Laura Smet…
Il me l’a annoncé. Régulièrement, il me téléphonait pour me dire : « ah, j’ai pensé à Untel pour jouer ton fils. » Un jour, il m’a dit : « pour le rôle de Solange, je sais qui va la jouer. C’est Laura. » Il voulait avoir mon approbation, sans doute. Et je n’allais pas lui dire non parce que c’était une très très bonne idée (rires). C’est le premier film que l’on fait ensemble, après un épisode de la série Dix pour cent où l’on jouait nos vrais rôles dans une situation qui n’était pas la nôtre — ce qui est plus difficile : je préfère jouer quelqu’un d’autre, qui n’est pas moi.

Laura, je la trouve formidable. On rigole beaucoup avec elle, on est complices, mais au moment de tourner, c’est une bosseuse, elle devient le personnage, elle est très investie, elle ne triche pas du tout. Elle a fait un truc qui est passé sur Arte qui s’appelle La Bête curieuse de Laurent Perreau. J’ai vu le film, j’étais tendue comme un arc ; à un moment je me suis dit : « calme-toi, c’est ta fille ! ».

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