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Guillermo del Toro : « Le genre de mon film ? Un film de moi ! »
Par Vincent Raymond
Publié Mardi 20 février 2018 - 3711 lectures
Photo : © DR
La Forme de l'eau - The Shape of water
De Guillermo del Toro (2017, EU, 2h) avec Sally Hawkins, Michael Shannon...
Entretien / Lion d’Or à Venise, Golden Globe et Bafta du Meilleur réalisateur (en attendant l’Oscar qui devrait logiquement suivre) pour La Forme de l’eau, Guillermo del Toro a hissé son art et ses monstres au plus haut degré d’excellence. Rencontre avec un maître du cinéma de genre adoubé par le gotha du cinéma mondial.
Quand vous avez reçu votre Lion d’Or, vous avez dit « Si vous restez pur et fidèle à ce que vous croyez — et pour moi ce sont les monstres —, alors vous pouvez faire ce que vous voulez ». D’où vous vient cette fascination pour les monstres ?
Guillermo del Toro : Tout d’abord, je veux revenir sur cette phrase : à Venise, ils avaient traduit « monsters » par « mustard », c’est-à-dire « moutarde » (rires), trouvant que c’était une métaphore géniale : « il aime les condiments ». Mais sinon pour moi, ça a commencé tôt, presque au berceau, quand j’avais deux ans. Mon psy dit que c’était un mécanisme d’inversion, tellement j’étais effrayé d’être né. Quand j’étais gosse, je me sentais étrange. Déjà, j’étais incroyablement mince — si si —, mes cheveux étaient extrêmement blonds, presque blancs, et j’étais tellement timide que je boutonnais ma chemise jusqu’au col. Je me battais si fréquemment que j’ai commencé à prendre du poids pour être capable de me défendre.
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Alors forcément, j’éprouvais de l’empathie pour les monstres : je voyais la créature de Frankenstein comme un martyre, comme la figure de Jésus qui a souffert pour nos péchés ; et l’Étrange Créature du Lac Noir était pour moi comme un dieu marin élémentaire. Si je devais représenter le thème de la répression, je pensais à la dualité Jekyll/Hyde. Petit à petit, c’est devenu comme une cosmologie personnelle.
Vous savez, au Mexique, il y a eu ce qu’on appelle le syncrétisme après l’arrivée des Espagnols : la fusion des croyances catholiques avec les mythes indigènes. Eh bien c’est ce que j’ai fait : j’ai fusionné les dogmes catholiques avec les monstres. Pour nombre de raisons, je les vois comme des anges, des saints ou des figures spirituelles depuis que je suis enfant.
Vous ne montrez jamais les créatures comme monstrueuses…
Je fais bien la distinction entre monstres et créatures. Je filme des créature avec empathie, et les monstres dans chacun de mes films sont toujours les humains, dont la monstruosité et la vraie nature se révèlent peu à peu. Dans Le Labyrinthe de Pan, c’est un personnage dont les yeux sont de plus en plus rouges ; dans L’Échine du diable, c’est à travers un nez cassé. Dans La Forme de l’eau, ce sont des doigts qui sont en train de pourrir. Ici, le vrai monstre s’appelle Strickland (joué Michael Shannon) ; il veut vivre son rêve américain de banlieusard à la Barbie et Ken, avec la maison, la voiture et les deux enfants — et se révèle capable pour cela de torturer jusqu’à la mort.
Comment faut-il prendre ce film ? Comme un film fantastique ou romantique ?
(en français dans le texte) Comme un film de moi ! Musical, comédie, drama, thriller, monster-movie… C’est fou, très fou !
Le cinéma a-t-il besoin de plus de films optimistes ?
J’ai fait dix films. Neuf d’entre eux ont à voir avec mon enfance : ils parlaient de perte, de nostalgie. Dans notre conception de l’art, il est plus facile d’être considéré comme artiste lorsque l’on est sombre. Dans certains cercles, en tout cas, c’est un signe d’intelligence. Si vous dites que vous ne croyez pas en l’amour, on vous prend pour un philosophe ; si au contraire vous dites y croire, on vous prendra pour un crétin. Il y a davantage de risque à croire aux émotions, à les faire vivre. La Forme de l’eau possède une ironie douce-amère : on y parle de pathos, de perte, de peur et de violence, mais il recèle aussi mon amour pour l’amour et pour le cinéma. Ce film est, je crois, une affirmation de la force vitale : bien sûr qu’il y a du bien qui existe sur terre. Si tous les invisibles se donnaient la main, ils pourraient agir. C’est mon premier film adulte, qui traite de thèmes adultes et qui montre, comme je l’ai dit à Venise, mon amour de la vie, de l’amour, et du cinéma. Je le dis beaucoup mieux aujourd’hui à 53 ans que je n’aurais été capable de le dire à 23.
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