Nasruddin Gladeema : « l'art est toujours sans frontières »

Documentaire / À 38 ans, Nasruddin Gladeema s’apprête à présenter le premier documentaire issu de sa société Nuvoscale Productions. Accompagné par Singa, il travaille à la Cordée Valmy (Lyon 9e) où ses co-workers l’appellent du diminutif Glad — heureux. Heureux, il l’est aujourd’hui.

À quel moment avez-vous choisi de vous exprimer dans le champ artistique ?
Nasruddin Gladeema :
Officiellement, je suis un artiste depuis l’an dernier, 2017, quand j’ai créé Nuvoscale Productions, une entreprise spécialisée dans le domaine de la production audiovisuelle. Je la présente toujours comme une plateforme d’échanges créatifs entre des artistes “accueillants“ et d’autres qui arrivent et dont la situation administrative ou le statut varie entre réfugiés et migrants. Mais en fait, dès mon arrivée en France en 2011, alors que j’étais demandeur d’asile, j’ai cherché un chemin artistique pour me stabiliser.

À quel endroit viviez-vous ?
J’ai commencé ma vie en France à Grenoble — une ville incroyable pour moi, car entourée de montagnes. Je n’en avais jamais vues de pareilles puisque je suis né et ai grandi à Khartoum (Soudan) ; il n’y a pas de montagnes là-bas. Cet espace blanc en face de moi a donc été un premier grand changement. Et d’une certaine manière, mon premier projet artistique après mon arrivée à Grenoble a été de trouver un sens à ma présence en France. Géographiquement, j’étais bien arrivé, mais je n’avais pas encore le sentiment d’être réellement en France. C’était comme une opération artistique que je devais faire entre moi… et moi.

Très vite, vous avez cependant participé à des créations concrètes…
Oui. Avec plusieurs demandeurs d’asile ayant traversé les frontières de l’Europe, j’ai participé à un atelier de cartographie organisé par Sarah Mekdjian, un professeur de géographie de l’Université de Grenoble. Il s’agissait de partager le geste cartographique selon différents protocoles afin d’échanger des bribes de souvenirs, des connaissances… La somme de nos réalisations a donné Cartographies Traverses/Crossing Maps, une installation plastique protéiforme qui est passée dans plusieurs expositions en France et à l’étranger, comme à l’Université de Genève. Ma carte s’appelait The Word is stopping us, je l’ai modelée dans de la glaise — une matière qui, pour moi, vient de l’enfance. Ce tableau, cette sculpture, racontait mon histoire.

Comment passe-t-on de la glaise à la caméra ?
Toute mon expérience de migrant et de demandeur d’asile m’a conduit à la découverte de nouvelles idées artistiques. J’ai toutefois commencé mon travail de documentariste avant The Word is stopping us. À Grenoble, j’avais tourné Nous partageons une tranche de vie, un documentaire de 17 minutes parlant de géopolitique, du Soudan, de la place et des conditions de vie des demandeurs d’asile — dont moi. Aujourd’hui, Nuvoscale Productions en est une sorte de continuation, car l’art est toujours sans frontières.

L’audiovisuel coûte cher, et reste un milieu fermé. Comment vous y êtes-vous pris ?
J’ai commencé avec les mêmes difficultés que beaucoup d’entrepreneurs en France et un manque de financement. Heureusement, j’ai eu la chance d'obtenir un micro-crédit de 6000€ pour acheter un ordinateur et un appareil photo. Et j’ai toujours cherché à agrandir mes réseaux, à développer ma communication et à m’ouvrir pour trouver des partenaires. J’ai présenté des projets à d’autres producteurs qui ont des moyens plus importants. J’ai commencé depuis à peine un an sur ce chemin, il est difficile, mais j’ai la passion, la motivation. Mais dans mon entreprise comme dans les autres, on grandit par étapes, c’est normal.

Vous allez bientôt sortir un documentaire, Outside the Border Box. Avez-vous déjà d’autres projets ?
J’ai des idées, des compétences et des protections artistiques que je veux partager pour que l’on comprenne mieux ces questions d’asile et de migration qui concernent l’Europe mais aussi le monde. On a un projet commencé en 2014, DDD : Die Here, Die They, Die in the Middle, lancé avec des chercheurs travaillant dans des domaines et des pays différents (Italie, Suisse, Allemagne, France, Grande-Bretagne…)

Et comme je travaille aussi comme chercheur indépendant, j’ai un autre projet parlant de la collaboration entre l’art, la science et l’exil, en compagnie de plusieurs chercheurs qui questionnent scientifiquement la distance géographique, le fait d’être en place… On s’interroge sur des aspects qui n’ont jamais été questionnés par les institutions ou les associations classiques.

Malgré les difficultés, vous semblez considérer votre parcours comme une chance…
Tout à fait. J’ai obtenu mon asile en France en 2015, après quatre ans et demi d’attente. Cette période a été la plus importante de ma vie ; de ma vie passée et de celle qui va arriver. C’est celle durant laquelle j’ai affronté le plus de difficultés, mais en même temps je les ai surmontées. J’ai appris de nouvelles choses, j’ai échangé avec les autres, j’ai rencontré plus de Soudanais qu’au Soudan — mon propre pays ! J’ai compris aussi beaucoup de contradictions dans l’asile, dans les conditions de vie des migrants. Cette période a été la base de ma nouvelle vie ; comme des études supérieures à l’université.

Nuvoscale Productions
www.nuvoscaleproduction.com

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