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Mamoru Hosoda : « le temps que je passe avec mes enfants m'a inspiré »

Miraï, ma petite soeur
De Mamoru Hosoda (Jap, 1h37) animation

Entretien / Cela fera bientôt vingt ans que Mamoru Hosoda a débuté sa carrière de cinéaste. Il n’a depuis cessé de livrer des œuvres d’envergure, le plaçant parmi les plus grands noms de la japanimation. Conversation à l’occasion de la sortie de son dernier-né, Miraï, ma petite sœur.

Tirez-vous l’inspiration de Miraï de votre vécu de petit ou grand frère ?
Mamoru Hosoda :
En réalité, je suis un enfant unique : ce sont mes propres enfants qui ont servi de modèles. Quand ma fille est née, j’étais presque jaloux de mon fils car grâce à elle, il pouvait connaître une vie que je n’avais jamais connue. J’ai fait ce film pour imaginer ce que représente le fait d’avoir une petite sœur ou un petit frère.

à lire aussi : La cadette de ses soucis : "Miraï, ma petite sœur"

D’une certaine manière, c’est votre jalousie d’adulte que vous avez transposée et qui vous a inspiré…
C’est le temps que je passe avec mes enfants qui m’a vraiment inspiré. Avant de devenir père, je croyais que les parents étaient des gens qui éduquaient, qui apprenaient aux enfants. Mais depuis, j’ai compris que c’était exactement l’inverse : ce sont eux qui m’apprennent plein de choses. Ils me permettent en plus de revivre ma propre enfance, l’époque où j’étais petit…

Vous êtes donc à la fois dans le monde des grands et celui des petits. Justement, dans vos films, deux mondes coexistent souvent : un réel et l’autre imaginaire…
Avoir deux mondes parallèles est très important pour moi. On pense qu’il n’y en a qu’un dans lequel on vit. Mais finalement, il y a beaucoup de mondes parallèles. J’ai créé tous ces mondes pour mieux connaître celui dans lequel je suis, car c’est toujours par comparaison que l’on se comprend et connaît mieux. Dans Miraï, je parle d’instants de la vie quotidienne pour évoquer l’éternité car il s’agit d’une histoire se déroulant de génération en génération.

Attentif aux éléments de la culture traditionnelle et à la nature, votre cinéma semble s’inscrire dans la filiation de celui de Takahata…
J’ai un immense respect pour Isao Takahata ; il m’a beaucoup influencé. J’ai un temps travaillé au Studio Ghibli, et j’ai eu l’occasion de discuter avec lui. C’est quelqu’un qui a élargi le potentiel du cinéma d’animation, qui a ouvert la porte du cinéma d’animation au public adulte — il est donc l’un des plus importants pour moi. S’il y a des filiations, des points communs entre son cinéma et le mien, c’est surtout dans la description de la vie quotidienne. Dans Miraï, le personnage principal est un enfant et l’on imaginerait normalement une histoire d’aventures. Or finalement Miraï ne parle que de sa vie quotidienne : il ne se passe rien. Mais c’est à travers cette description des choses du quotidien que l’on peut parler des choses les plus importantes de la vie. Je retrouve cela dans les séries télé de Takahata, comme Heidi, ou son long-métrage Panda Petit Panda.

Vous passez ici de lieux immenses à des espaces très resserrés. Comment gère-t-on l’espace en animation ?
C’est très important pour ce film. L’histoire se passe dans un petit coin du Japon, dans une famille où vit un garçon de quatre ans. Pour un enfant de cet âge, la maison représente tout son univers ; la sociabilité ne signifie rien. Si l’on veut faire un film sur la société ou sur la famille, il faut prendre les enfants comme personnages principaux : ainsi, on pourra aborder les notions de la société ou de la famille de manière très conceptuelle.

Pour Miraï, j’ai beaucoup travaillé sur l’espace intérieur de la maison : il n’y a pas vraiment d’étages, les pièces sont séparées par quelques marches d’escalier… Et la cour au centre m’a pris le plus de temps.

Ce décor casse en tout cas les codes que les Européens ont de l’habitat japonais…
En effet. Cette maison n’est pas du tout traditionnelle ! Pas plus que le jeune couple qui y vit puisque la femme travaille à l’extérieur et l’homme, un architecte, travaille à domicile. Autrefois, les rôles étaient inversés. Je pense que les occidentaux pensent la société japonaise encore très traditionnelle, avec la femme restant à la maison… Mais cette société est en train de changer : la réalité des Japonais est en évolution, et je voulais que la maison reflète cette nouveauté, ce changement. Ce couple est en train de réfléchir sur sa forme, sur une nouvelle forme de famille, il fallait donc que la construction de la maison reflète aussi leur recherche. J’ai donc cassé tous les codes de la maison traditionnelle.

Kun, leur premier né, est fasciné par les trains. D’où vient cette passion ?
Mon père travaillait pour une société de chemin de fer, il réparait les rails. Ça ne veut pas dire que j’étais passionné par les trains quand j’étais petit ! C’est mon fils qui m’a transmis sa passion : jusqu’à ce qu’il commence à aimer les trains, je ne m’y étais pas intéressé. Pour moi, comme la plupart des adultes, les trains représentaient un moyen de transport. Pour les enfants, ils signifient beaucoup plus que cela : c’est le symbole de l’aspiration vers quelque chose. Un moyen pour accéder à une autre dimension ; une sorte de machine permettant d’amener les gens ailleurs, voire dans un univers terrifiant comme on le voit dans Miraï. Il peut être complètement différent quand il est vu à travers les yeux des enfants.

Justement, la séquence de la gare est animée en papier découpé. Comment gérez-vous les différentes techniques d’animation ?
J’ai beaucoup travaillé sur cette séquence ; j’y tenais particulièrement. Dans cette séquence, Kun est perdu dans une gare. Quand je me remémore mon enfance, lorsque je me perdais, j’étais apeuré. Je voulais donc que la gare de Tokyo, vue par un enfant, soit terrifiante. Et que dans sa panique, tout le personnel ressemble à des créatures imaginaires et non à des êtres humains. La technique des papiers découpés me permettait de montrer ce que sont des créatures aux yeux des enfants : elles l’effraient. Mais c’est logique car elles lui posent des questions sur son identité ; or la recherche de l’identité, qui est un passage obligatoire pour tout être humain, est effrayante.

Kun doit donc se déterminer par rapport à sa sœur pour affirmer son identité. À ce propos, comment avez-vous choisi les noms de vos personnages, sachant que Miraï signifie “futur“ ?
Là encore, la naissance de ma fille m’a inspiré. Pour les adultes, c’était évident qu’elle était la petite sœur de mon fils — devenu grand frère. Pas pour lui, qui ne comprenait pas que ce bébé arrivé tout à coup à la maison était sa petite sœur. J’étais très curieux de savoir comment il allait le comprendre. Car ce n’est pas parce que les adultes expliquent qu’un enfant accepte : il faut absolument qu’il comprenne par lui-même qui est ce bébé.

Pour revenir aux noms des personnages et les comprendre, il faut savoir pourquoi j’ai nommé le garçon Kun. En japonais, on dit monsieur, mademoiselle, et kun est réservé aux petits garçons. Donc, c’est comme s’il n’avait pas de nom, pas encore trouvé sa propre d’identité et recevait tout d’un coup, l’avenir, Miraï… Ça peut marcher pour mon fils avec sa petite sœur mais aussi pour tous les adultes. En effet, on se pose toujours la question : qui sommes-nous ; quel sera notre avenir ?

L’adulte que vous êtes aujourd’hui ressemble-t-il à celui qu’il s’imaginait enfant ?
Je ne sais pas, j’ai du mal à savoir… En tout cas, le questionnement sur l’identité existe toujours ! Déjà, quand j’étais petit, je me demandais qui j’étais et je continue à me poser la question. Et le voyage de la recherche de soi ne s’arrête jamais. On se demande toujours pourquoi nous somme nés. Quand j’ai eu mes enfants, je croyais résoudre ce problème. En étant père, je me disais que le bébé devait me faire comprendre pourquoi j’étais né : pour devenir le père de cet enfant. À un moment, après la naissance de mon fils, j’ai presque failli trouver la réponse à cette question, et plus tard je me suis rendu compte que pas du tout. Donc, je continue à me poser la même question. Certain éléments aident à trouver la solution.

Reprenant de nombreux thèmes de la famille, de la maternité, de la paternité, de l’adolescence, mais aussi des techniques que vous avez déjà utilisées, Miraï est-il une somme et/ou la fin d’un cycle ?
En fait, je n’en ai pas conscience… Dans Summer Wars, je parlais de la famille au sens large, de la maternité dans Les Enfants loups, de la paternité dans Le Garçon et la Bête, et ici des frère et sœur… C’est un peu comme si j’avais fait tout le tour des éléments de la famille, on peut le considérer ainsi. Et vu que j’ai commencé à parler de la famille, je peux tout à fait terminer ce thème avec Miraï, je suis sur le point d’aller explorer d’autres terrains. J’ignore encore lesquels pour l’instant…

Avez-vous néanmoins des projets ?
Je commence déjà à réfléchir à mon prochain film. Mais comme souvent, je le veux très différent du précédent. Après La Traversée du Temps, qui n’est pas tout à fait un film d’action, j’ai voulu faire un film avec beaucoup de séquences d’action : cela a donné Summer Wars. Par la suite, je voulais quelque chose de plus paisible, j’ai fait Les Enfants Loups, ce qui m’a donné envie d’aller à l’inverse ; j’ai donc mis beaucoup de séquences d’action dans Le Garçon et la Bête. Et Miraï est à l’opposé. La prochaine fois, je vais peut-être mettre beaucoup plus de séquences d’action… Je ne sais pas encore.

Qu’est-ce que votre travail sur Dragon Ball Z et One Piece a pu vous apporter ?
Tout ce que j’ai appris à l’époque me sert, même dans des films sans séquences d’action. Ma première réalisation, Digimon adventure (1999), un court-métrage de vingt minutes racontait l’histoire d’un garçon à l’école primaire et de sa petite sœur de deux-trois ans qui rencontraient Digimon. Si j’y pense maintenant, c’est que c’est la même configuration que Miraï. On dit souvent qu’il y a déjà toutes les caractéristiques d’un réalisateur dans ses premiers films…


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