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Louis Garrel : « dès le début, il devait y avoir trois voix »

L'homme fidèle
De Louis Garrel (Fr, 1h15) avec Laetitia Casta, Louis Garrel...

L’Homme fidèle / Bref par la durée, le deuxième long-métrage de Louis Garrel est un grand et beau film atemporel coécrit par un scénariste de légende, Jean-Claude Carrière et co-interprété par Laetitia Casta. Conversation à trois, entre voix feutrées et phrases alertes…

Après Les Deux Amis inspiré de Musset, vous vous êtes ici plus ou moins inspiré de La Seconde Surprise de l’amour de Marivaux.
Louis Garrel
: L’homme fidèle aux classiques…

à lire aussi : Ça va mieux en dix ans : "L'Homme fidèle"

Jean-Claude Carrière : Infidèle !

LG : Toi oui, mais moi, fidèle aux classiques. Comme j’étais mauvais élève à l’école, j’essaie de me rattraper en faisant des films. J’aime bien prendre des trucs ancrés dans l’inconscient collectif, des arguments classiques et les retourner dans tous les sens. Les Américains le font bien avec Shakespeare, pourquoi ne pourrait-on pas le faire avec Marivaux ? Au finale, il ne reste ici pas grand chose de Marivaux en vrai : deux idées de personnages.

Quelle a été la toute première idée de ce film ?
JCC
: Elle est née de son autre film. Quand il a écrit Les Deux amis, il m’a demandé de me le lire — c’est toujours très intéressant : j’ai rêvé de faire une série de films où des metteurs en scène raconteraient un film qu’ils n’ont pas pu monter ; ça serait marrant. Et quand il est venu me raconter ça, j’ai vu qu’il ne s’en sortait pas trop mal…

LG : Jean-Claude m’avait filé une scène sur Les Deux amis. C’était dans une église, la femme me disait « on va se déshabiller », mais c’était un peu plat, je m’ennuyais avec cette scène. Jean-Claude m’a alors dit : « Quand tu as un problème avec deux personnages, mets-en un troisième qui les regarde ». J’ai donc mis une femme qui les écoute. À Cannes, lors la première projection, tout le monde s’est marré, et je me suis dit :

Jean-Claude a de bonnes idées…

JCC : Tu devrais la remettre dans chacun de tes films, cette femme !

LG : On a donc brodé à partir de La Seconde Surprise de l’amour autour d’une femme veuve et d’un homme qui venait de se faire quitter ; en discutant, on est arrivé à ce qu’il se fasse quitter par cette même femme, qui par la suite va devenir veuve de son meilleur ami. Après on a mélangé toutes les histoires…

Votre personnage, Abel ne choisit rien. Mais en tant que réalisateur, vous devez choisir…
LG
: Sur le plateau, c’est différent. C’est peut-être une des raisons psychanalytiques pour lesquelles j’aime bien faire des films : je suis obligé de choisir vite. On a fait le film en quatre semaines. Je n’avais pas le temps de me retourner. Ce n’étais pas plus mal. On prépare le plus possible ; comme disait Patrice Chéreau, c’était la préparation qui était le plus important. Jean-Claude m’a fait la tête, mais je pensais en être capable.

Avez-vous beaucoup répété ?
Lætitia Casta
: Oui ! C’est la chose la plus intime que je puisse vous dire : ça ne s’arrêtait jamais entre le plateau et la maison, jamais ! (rires). « faut répéter, faut répéter, faut répéter… » Et après j’ai compris que Louis répétait son propre texte (rires).

Ce film ne cesse de mélanger les genres…
LG
: Il faut l’étonner Jean-Claude quand on travaille ensemble. Quand je suis venu le voir, j’avais : il y a un homme et une femme qui s’aiment, puis qui ne s’aiment plus, puis qui se retrouvent avec une autre femme qui l’aime… Il en a écrit 250 des films ; il en a eu, des scénaristes qui ont voulu faire des films d’amour. Alors, il fallu qu’on rigole avec ça. Il fallait écrire un film qui n’a pas été fait. Celui-ci, qui passe d’un genre à l’autre, j’ai l’impression qu’il n’a jamais été fait.

JCC : Travailler avec lui m’a rappelé mes tous débuts avec Pierre Étaix : avoir en face de soi l’interprète principal et le metteur en scène, c’est formidable. Un scénario n’est jamais que la recherche d’un film. On n’a pas de personnage, de décor… On voit ce qu'il peut faire, on a des images en gros plan.

À qui, ou à quoi, cet homme est-il fidèle ?
JCC
: C’est la question que je me suis posée…

LG : À Marianne, même quand elle lui demande d’être infidèle ? C’est vrai que je n’ai pas encore résolu la question… Au début, ça s’appelait L’Indécis, on s’est dit bof pour les spectateurs. Ensuite Le Fataliste. Quand on a trouvé L’Homme fidèle, j’aimais bien parce que des copains à moi, il faisaient : « ah ouais ? (ton interloqué) », et les filles : « ouaiiiiis (ton goguenard), tu crois que ça existe ? » Le titre est super car chacun voit midi à sa porte. Avant même que je dise que ça ne concerne pas forcément une fidélité conjugale, à soi même…

JCC : Ça entraine forcément l’idée de l’infidélité. Mais il ne change pas, il reste un bon garçon. Quand on définit un personnage, il faut éliminer ce qu’on n’aime pas chez lui. C’est un pur du début à la fin : il n’y a rien qu’on puisse lui reprocher. Et il est amoureux.

LG : Très amoureux. Mais c’est l’éternel naïf, et il n’a pas de rancune. Ça lui donne une force. C’est peut être autobiographique : je ne sais pas rompre, ni me disputer avec les gens.

Quid du personnage de Marianne ? Comment l’avez-vous défini ?
JCC
: Quand on cherche un personnage, on cherche à la fois parmi ses amis proches que l’on peut connaitre, parmi des personnages déjà écrits par d’autres auteurs et moi j’y ajoute des personnages de la mythologie greco-romaine. Pour moi, elle c’était Minerve, Athéna, la sagesse et la vaillance et qui se bat : elle défend la cité.

Lætitia, vous le saviez ?
LC
: Oui, et en plus Athéna est un personnage que j’adore et que je connais bien, j’adore la mythologique grecque, ma fille s’appelle Athéna (rires), je suis partie dans cette direction-là.

Incarner une divinité, c’est un peu particulier…
LC
: C’est la protectrice des agriculteurs, des guerriers mais pas pour la guerre : elle protège la justice, les artistes. Elle a quelque chose de très maternant, mais elle est extrêmement indépendante : elle naît seule de la tête de Zeus. C’est un joli personnage, mystérieux. Mais j’ai beaucoup réfléchi avant de le jouer : Louis et Jean-Claude ont construit un magnifique scénario très intellectuel qui pose des questions sur la vie sans y répondre. il fallait mettre de la chair, qu’elle soit réelle, fragile, crédible et pas trop dure, ni théorique. Pour que cette musique particulière aille de soi, coule de ma bouche. Je leur ai dit au fil de l’écriture, et des scènes ont été raccourcies ou ajoutées à ma demande, pour qu’on comprenne qu’entre Abel et Marianne il y a beaucoup d’amour.

L’enfant prétend que sa mère, Marianne, a tué son père. Avez-vous testé l’hypothèse de la culpabilité de votre personnage ?
LC
: Non. En revanche, j’avais d’autres pensées. Pour la scène où je fais boire du thé à Abel [que celui-ci craint empoisonné] et où je le regarde en biais, je fais référence à la scène précédente où il rentre du cinéma et elle parle de son fils et aimerait qu’Abel s’attache à cet enfant. Elle a cette inquiétude au fond d’elle, et lorsqu’elle a ce regard, ça fonctionne. On n’est pas toujours obligé de proposer au spectateur quelque chose qui soit copie conforme du scénario. Il faut amener de soi, de son imaginaire.

Éprouvez-vous la nostalgie d’un cinéma “d’avant“, c’est-à-dire de la génération de votre père ?
LG
: De l’affection. Si je regarde Truffaut, c’est quand même une idole, une icône. J’écoute ses interviews, je le trouve tellement intelligent quand il parle de cinéma, quand il fait du cinéma. C’est inexplicable : j’adore être DANS ses films, je les regarde, je me sens bien. Plus que Jean-Claude. La première fois que tu as vu Baisers volés avec Buñuel, vous avez fait la gueule.

JC : Pas moi, lui ! C’est-à-dire que j’ai commencé avec Pierre Etaix et que j’ai traversé toute la Nouvelle Vague — qui est ma génération — dans un climat de “pas de scénariste“ : l’auteur du film était étrangement le metteur en scène. Sauf avec Buñuel, qui disait toujours : « un film c’est une cathédrale : il y a un maitre d’œuvre qui est le metteur en scène, mais ce n’est pas lui qui fait les sculptures, ni les vitraux. »

LG : C’est pas mal de travailler avec Jean-Claude, ça relativise les trucs… (sourire) Je peux être très admiratif de Godard, mais il est trop moderne pour moi. Comme spectateur j’adore ça, mais comme metteur en scène, je suis beaucoup plus classique dans la narration. J’aime bien le “il était une fois“ ; c’est pour ça que je suis allé voir Jean-Claude, le conteur indien…

À quel moment avez-vous décidé que ce film serait polyphonique ?
LG
: Dès le début, il devait y avoir trois voix.

JCC : Ça me plaisait beaucoup, je ne l’avais jamais fait. On oublie toujours que la voix off fait partie du langage cinématographique, et uniquement de celui-là. C’est le cinéma qui l’a inventé. Comme trois couleurs.

LG : Je crois que ça participe aussi du vertige du spectateur : le fait d’être complice des trois, ça donne un coup d’avance sur les personnages. Sauf que nous, les metteurs en scène, on a un coup d’avance sur vous, parce qu’on essaie tout le temps de vous perturber, de vous dire « non, le film est peut-être un film policier ». Et vous avez quand quelque chose auquel vous raccrocher avec les voix off, un sentiment de confession. Et puis, j’aime bien les voix off au cinéma.

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