Benoît Magimel : « Guillaume me connaît et sait que je suis un gentil garçon »

Nous finirons ensemble
De Guillaume Canet (2019, Fr, 2h15) avec François Cluzet, Marion Cotillard...

Nous finirons ensemble / Personnage pivot des "Petits mouchoirs", Vincent est à nouveau interprété par Benoît Magimel. Conversation avec un comédien sur la manière d’appréhender un rôle et son métier à l’occasion des Rencontres du Sud d’Avignon…

Figuriez-vous parmi les comédiens les plus heureux de retrouver leur personnage ?
Benoit Magimel
: Le plus heureux, je ne sais pas, mais lorsque Guillaume me l’a proposé j’ai tout de suite dit oui. C’est une chance si rare de pouvoir retrouver un personnage au cinéma dix ans plus tard, de vieillir avec lui ; forcément, c’est une expérience assez unique. Retrouver Vincent, sa voix, était une évidence. J’étais ravi.

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Sa situation, son statut et ses rapports avec les personnages, cela l’était-il également ?
Oui, bien sûr. À partir de 40 ans, j’ai l’impression que plus les années passent, plus on accepte de vivre un peu plus pour soi, un peu moins pour les autres. La façade, le masque tombent, on s’accepte un peu plus, on se connaît mieux. Ce personnage est très hésitant, ses sentiments assez contradictoires : l’attirance qu’il avait pour Max dans le premier était de l’ordre d’une amitié forte : il considérait qu’il était plus heureux avec lui qu’avec sa femme ; ce n’est pas par hasard qu’il rencontre Alex — ce qui n’empêche pas qu'il éprouve toujours des sentiments pour sa femme. Quand on a aimé comme il l’a aimée, il reste forcément quelque chose.

Le plaisir de retrouver ses partenaires de jeu est-il le même ?
Euh, en vérité ? (rires). Non, pas vraiment… (rires). Les films chorals avec beaucoup de personnages, ça n’est pas évident parce qu’on est nombreux : il y a la rigueur de la fabrication sur le plateau et c’est toujours très difficile pour Guillaume de nous laisser la liberté d’être emporté par l’ambiance. Car il faut avancer et on a un délai de tournage assez court et des scènes denses. Par exemple, les scènes de repas, c’est un peu un passage obligé : mais à filmer, c’est infernal tous ces points de vue qui s’entrecroisent. Quand il y a autant de personnages, il faut résoudre toutes leurs problématiques, les unes après les autres. Donc y a une petite frustration de ne pas pouvoir se laisser aller ensemble.

Mais sur le deuxième, j’ai eu plus d’empathie pour Guillaume. En sortant du premier, je m’étais dit : « plus jamais un film choral, c’est trop dur » et finalement, ces dix années étaient nécessaires. J’ai trouvé que Guillaume avait une démarche très intègre : il avait envie de raconter quelque chose. Les dix ans qui se sont écoulés lui ont donné envie de s’exprimer à travers tous ses personnages. Une suite, en général, surfe sur la vague du succès ; là, c’est dix années, on peut pas lui enlever cette intégrité. Je me suis dit : « allez on se retrouvera quand on aura soixante piges » (rires). Il y a a des paliers : on remarque tous qu’on change, qu’on évolue ; parfois on s’attendrit sur certains sujets, on a plus de compréhension…

Sur quoi vous attendrissez-vous ?
Parfois, je regarde la vieillesse et je m’aperçois qu’une forme de nostalgie s’installe : les gens durs arrivent à se laisser aller à des larmes, à exprimer plus leurs émotions. Quand on voit ses parents devenir grands-parents, c’est quand même différent. Quand on s’approche de la mort, j’ai l’impression que les êtres s’attendrissent et font preuve d’humilité. Ce sont des années précieuses ; ça doit être vraiment intéressant de suivre cette équipe dans le temps.

Qu’est-ce que ces dix années ont changé dans votre travail de comédien ?
Moi, j’aime que ça change, et je pense qu’il y a des grandes lignes dans le travail d’acteur. Je crois que j’ai toujours eu envie de cette quarantaine, curieusement. Les plus beaux rôles que j’ai vus au cinéma sont pour des hommes ayant déjà la quarantaine bien tassée. À un moment donné, vers trente ans, je me suis dit : « je ne suis plus jeune homme et pas encore homme ». J’étais sûr que l’âge m’apporterait plus de possibilités, un éventail beaucoup plus large : on a plus de choses à dire, à raconter. Aujourd’hui, je mets un peu plus mon parcours de vie au service des rôles. Ma propre expérience nourrit les personnages que je rencontre et qui demandent un travail plus rigoureux. Pour La Tête haute, vous arrivez avec votre bagage… On me demande de jouer un éducateur, et dans ma vie, j’ai eu des expériences qui pouvaient être proches ; ça n’a pas été si dur de se rappeler et de l’appliquer dans une histoire.

Donc, plus on a vécu, meilleur acteur on est ?
Je crois (rires). Parce qu’il faut avoir une connaissance des choses : on ne peut pas tout jouer, on ne peut pas tout faire. Les films de genre, par exemple, c’est très difficile à faire. On a vu des choses au cinéma… Mais qui a côtoyé des milieux extrêmes et des personnages, dangereux ? Les films de voyous, ou la douleur physique, c’est tellement dur à jouer… Qui s’est pris une balle dans le ventre ? C’est tout bête, mais on peut être tellement ridicule ; c’est à deux doigts à chaque fois. C’est dans ces films-là ou de genre que je me suis rendu compte que c’était le plus difficile : on n’a pas de choses sur lesquelles s’accrocher, à part des témoignages ou le cinéma. Renoir disait : « les acteurs reproduisent ce qu’ils ont déjà vu au cinéma » alors qu’on devrait, effectivement, donner une interprétation nouvelle et se rapprocher de la réalité, de comment c’est dans la vie. Alors, j’essaye de tirer sur ce que je connais ; quand je ne connais pas et que je n’ai pas la possibilité d’aller découvrir un monde, je préfère m’abstenir.

On vous a plus vus dans des rôles durs que dans celui de Vincent…
Peut-être que Guillaume me connaît et sait que je suis un gentil garçon…. Il avait envie, justement, de tester des choses un petit peu différentes… J’aime avoir des spectres assez larges, Ça surprend mais je voulais être clown au départ ; je voulais faire de la comédie et puis j’ai était entrainé dans une autre direction bien que, de temps en temps, j’ai touché un peu d’autres choses. Mais je pense que la comédie ça intervient à partir d’un certain âge, ça marche mieux. Les grandes comédies que j’ai aimées, c’était toujours des hommes qui avaient déjà vécu et qui vivaient des drames. C’est ça la contradiction, on rit des drames des autres.

Jouer La Douleur était-il plus difficile que jouer Nous finirons ensemble ?
Oui… (un temps) Dans La Douleur, il y a de la contradiction, comme pour le personnage de Vincent. On peut comprendre ses sentiments, peu importe l’orientation : un homme, une femme, ce sont les mêmes sentiments, le désir, l’envie de partager ; et puis de faire un choix difficile, se séparer quand on a construit une famille. J’ai vécu des séparations, je peux comprendre tout ça. Pour La Douleur, je retiens juste cette phrase : « un homme comme moi vous ne l’auriez jamais rencontré s’il n’y avait pas eu cette histoire, enfin, si on n’était pas sous l’Occupation. Je suis qu’un prolo. » Le complexe du prolo, je l’ai eu quand j’étais petit et quand j’ai commencé le cinéma.

Vit-on un tournage comme on vivrait des vacances, c’est-à-dire avec la conscience qu’il s’agit d’une parenthèse qu’il faudra refermer ?
Oui : on attend la fin avec impatience ! (rires) En fait, ce n’est pas pas douloureux, mais on avait plus conscience de la difficulté qu’avait Guillaume à faire ce film, toutes les contraintes qu’il fallait tenir : c’était vraiment un sprint ce tournage, ça allait à une vitesse pas possible ! Parfois, il avait l’impression qu’on lui faisait la tête, parfois y avaient des moments plus joyeux. J’étais très, très conscient de la problématique de Guillaume. Si j’avais été à sa place, ça aurait été l’enfer de voir tout le monde se marrer et de devoir dire : « bon les gars on s’y remet. » Mais c’était le deal : il fallait faire ce film quoi qu’il arrive.

Travailler sur un film de copains, avec des copains et réalisé par un copain, est-ce si différent d’un film avec un autre réalisateur ?
Non, non, non. Après, chaque réalisateur a une sensibilité différente, et c’est toujours une expérience différente : ça se joue toujours sur le ressenti, sur l’humain. Je disais à Guillaume : « si tu me vois tirer la gueule à un moment donné, ça n’a rien de personnel ; fais ton film et peu importe, on a le droit d’avoir ses humeurs ». D’autres réalisateurs ont une distance et c’est très bien aussi. Ce qui est bon dans le cinéma, c’est que ce ne soit jamais la même chose. Ce sont les réalisateurs qui, systématiquement, donnent le ton, de l’atmosphère et de l’humanité. Je n’aime pas que les films soient enfermés entre le metteur en scène et ses acteurs : j’aime le sentiment d’équipe ; ça me plaît ce collectif, de parler à l’ensemble et d’avancer… Guillaume est un formidable capitaine, j’ai jamais vu des chefs de poste comme ça, courir avec leurs matos pour aller poser un plan parce que le soleil tombe. Il arrive à entraîner tout le monde et c’est super à regarder. Cette façon de faire du cinéma me plaît plus que d’être trop confidentiel.

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