article partenaire
Quand on arrive en livre !

Le Cas Noé : La boucle est bouclée

Mini-nuit Gaspar Noé
"Irréversible", "Lux Æterna", "Irréversible – Inversion intégrale"

Festival Lumière / En guise d’amuse-rétines nocturne, Gaspar Noé a composé un appétissant sandwich cinématographique qui devrait teinter d’une belle couleur rubis les rêves de ses spectatrices et spectateurs. Estomacs délicats et autres ténias, passez votre chemin.

Film après film, on ne cesse de le seriner, voire de le suriner : Gaspar Noé compte parmi le cercle (vicieux) très fermé des auteurs possédés par une ambition d’écriture de la forme cinématographique, et pour qui l’expérience de visionnement doit permettre au public de dépasser sa passivité habituelle en instaurant une interaction quasi-organique entre l’objet projeté et le spectateur. Si d’aucuns qualifient Noé de “provocateur“ parce qu’il traite de sujets mordant la marge (inceste, sexe, viol, drogue, mort, etc.), le cinéaste vise surtout à provoquer une émotion qui ne soit pas pré-mâchée. Infusée, perfusée par le registre expérimental, mais aussi imprégnée des formes kubrickiennes et godardiennes, son œuvre dispose toutefois d’une voix originale et bien timbrée, reconnaissable dès ses premiers grenats. Concept singulier — sans doute taillé pour les couche-tôt lyonnais —, la Mini-nuit du Festival Lumière permettra aux dubitatifs de réviser leur jugement, et aux aficionados de se faire un triple bang(halter).

Abracadabra !

Des trois films présentés, le deuxième constitue la principale surprise puisqu’il s’agit d’un inédit — hors Festival de Cannes, où il fut présenté en projection de minuit en mai dernier. Long court-métrage de 50 minutes, Lux Æterna (2019) est un film sinon de commande, du moins réalisé grâce à la proposition d’un mécène — on se croirait revenu à l’époque du Vicomte de Noailles — en l’occurrence un patron de maison de couture. Forcément sulfureux puisqu'il y est question de cinéma et de magie noire, ce film met en scène une réalisatrice campée par Béatrice Dalle dirigeant une comédienne jouée par Charlotte Gainsbourg devant jouer une femme sur le point d’être brûlée pour sorcellerie. Outre le fait que la thématique de la sorcière est diablement d’actualité avec, notamment, la publication récente de l’essai de Mona Chollet, les deux interprètes féminines renouent avec une figure qu’elles ont l’une et l’autre déjà approchée : Béatrice Dalle en étant le rôle-titre de La Sorcière de Bellocchio (invité du Festival cette année) et Charlotte Gainsbourg dans Antichrist de Lars von Trier.

Palin-drame

Pour encadrer ce court, un même film en miroir, ou presque : Irréversible (2002) et son néo-double, Irréversible - Inversion intégrale (2019). Tenant sa place parmi les plus grands films des vingt dernières années, le premier avait fait sensation à Cannes en compétition tout à la fois pour ses plans-séquences hallucinants, sa violence crue, l'interprétation du quatuor Cassel-Bellucci-Dupontel-Prestia et son thème, le rape & revenge… ou plutôt le revenge & rape puisqu'il est construit à rebours. Une narration inversée qui n’a rien de gratuite dans la mesure où elle produit du sens : en chamboulant la chronologie, en la meurtrissant, Noé casse le “confort“ de lecture. Il oblige à emprunter le chemin du souvenir évoqué, celui réclamé par une reconstitution policière par exemple, puisque ce sont les effets qui font exister les actes, et les conséquences qui font rechercher les causes. Irréversible n’est rien d’autre que la déconstruction, l’autopsie d’une colère, décroissant de manière exponentielle, pour s’achever par une épreuve plus physiologique que psychologique : car après nous avoir montré frontalement l’insoutenable du meurtre, du viol, de la douleur — nous transformant de fait en voyeurs impassibles, complices de ce qui s’offrait à nous — Noé nous fait quitter les yeux de l’écran par la contrainte physique. Ou nous les fait baisser de honte.

Changement d’optique en 2019 avec Irréversible - Inversion intégrale que Noé vient de présenter à la Mostra, où il présente à présent l'histoire dans sa continuité logique. Si le remontage est intégral, il appelle plusieurs remarques. D’abord qu’il ne dément pas la morale du film, « le temps détruit tout » puisque le drame reste entier même si le concept se trouve “dénaturé“ ; la perception en sera forcément différente. Ensuite, en décidant d'une telle opération sur son film, le cinéaste reste dans la pratique expérimentale et évoque le boulot que Ryan & Saunders avait fait en 2011 sur un film de Kubrick en le projetant simultanément à l'envers et à l’endroit pour en observer les étranges coïncidences — The Shining Forwards and Backwards, Simultaneously, Superimposed. Bien sûr, Gaspar Noé ne surimprime pas ses deux versions/inversions (lesquelles, étrangement, n’affichent pas la même durée) ; il les projette successivement. Mais qui sait ? Peut-être qu’une version alternative viendra dans des temps ultérieurs. En attendant, la Mini-nuit est à vous.

Mini-Nuit Gaspar Noé en sa présence
À l’UGC Astoria le jeudi 17 octobre à 19h30

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 15 octobre 2019 Le Padre padrone de la famille Coppola arrive cette semaine pour recevoir son dû lyonnais. Plus que la jolie plaque en bois gravée à son nom, c’est l’ovation associée qui devrait lui arracher l’un de ses trop rares sourires. En l’attendant,...
Mardi 15 octobre 2019 Au cœur du Festival Lumière se tient pour la septième année un rendez-vous dédié aux professionnels : le Marché International du Film Classique. L’occasion de se pencher sur la “grandeur (et la décadence ?) des petits commerces de cinéma“ pour...
Mardi 15 octobre 2019 En un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, les superproductions en 70mm et les grands classiques passaient à 20h30 sur les six chaînes hertziennes… mais plus dans les salles. Le point commun de ces films ? L’immensité au...
Mardi 8 octobre 2019 Des films par dizaines, des projections par centaines, des invités… par milliers ? Peut-être pas, mais suffisamment pour que chaque spectatrice ou (...)
Mardi 3 septembre 2019 Francis Ford Coppola, Bong John Ho, Ken Loach, Daniel Auteuil et Marina Vlady ne seront pas seuls à visiter les salles obscures lyonnaises en octobre prochain : Frances McDormand, Donald Sutherland, Marco Bellocchio, Gael Garcia Bernal ou Vincent...
Mardi 8 janvier 2019 La rencontre de deux êtres à la monstruosité apparente, une enquête sur des monstruosités cachées et des éveils sensuels peu humains… Chez Ali Abbassi, la Suède est diablement fantastique et plus vraie que nature. Prix Un Certain Regard Cannes...
Mercredi 19 septembre 2018 Le réveillon d’un corps de ballet vire inexplicablement en orgie hallucinatoire et sanglante, rythmée par le tempo du DJ. Après Love, Gaspar Noé signe un nouveau film de beat ; un cocktail de survival et de transe écarlate soignant au passage la...
Mercredi 15 juillet 2015 Le souvenir d’une histoire d’amour racontée par ses étapes sexuelles : Gaspar Noé se met autant à nu que ses comédiens dans ce film unique, fulgurant et bouleversant. Christophe Chabert
Dimanche 24 mai 2015 "Youth" de Paolo Sorrentino. "The Assassin" de Hou Hsiao-Hsien. "Mountains May Depart" de Jia Zhang-ke. "Dheepan" de Jacques Audiard. "Love" de Gaspar Noé.
Dimanche 8 février 2015 « Ixcanul » de Jayro Bustamente. « Journal d’une femme de chambre » de Benoît Jacquot. « Victoria » de Sebastian Schipper. « Une jeunesse allemande » de Jean-Gabriel Périot.
Lundi 16 mai 2011 Ailleurs / Des metteurs en majeurs se sont emparés très tôt des textes de Sarah Kane et en ont livré un travail aussi radical que l'écriture de la Britannique et porté par de très grands acteurs. Preuve par l'exemple avec sa première pièce...
Mercredi 28 avril 2010 Entretien avec Gaspar Noé, réalisateur de "Enter the void" Propos recueillis par Christophe Chabert
Mercredi 28 avril 2010 Sept ans après "Irréversible", Gaspar Noé revient avec un film trip, une expérience sensorielle mais aussi un geste de cinéma fort qui révèle le visage le plus sentimental de son auteur derrière un solide sens du spectacle. Christophe Chabert
Mardi 27 janvier 2009 Rétro / Si Benjamin Button remonte physiquement le temps dans le film de David Fincher, c’est par les capacités nouvelles du cinéma numérique que ce prodige (...)

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X