Au ciné depuis votre canapé : les nouveautés de la semaine

e-Cinéma / Deux documentaires ("Douce France" et "Green Boys"), une fiction ("Sankara n’est pas mort") : voici trois bonnes raisons de guetter la programmation virtuelle de vos habituelles salles de cinéma favorites et les sites de VOD. 

Douce France

Un documentaire de Geoffrey Couanon (Fr, 1h39) : quand un programme d’aménagement urbain devient un cas d’école pour des lycéens directement concernés, c’est leur conscience citoyenne qui s’éveille. Et leur mobilisation qui suit…

Le Triangle de Gonesse, entre la Seine-Saint-Denis et le Val d’Oise. La concertation autour de l’aménagement d’EuropaCity — mégacomplexe mêlant centre commercial géant, pôle de loisirs et d’équipements — conduit des élèves de 1ère encadrés par leurs professeurs à s’interroger sur le bien-fondé de ce chantier prévoyant de rogner sur des centaines d'hectares dévolus à l’agriculture. Une alternative est-elle possible à ce programme intégré au projet du Grand Paris, soutenu par le pouvoir politique et financier ?

De la classe impliquée dans cet atelier d'enseignement moral et civique, Geoffrey Couanon distingue Amina, Jennyfer et Sami. Trois lycéens dont il fait ses hérauts-héros, des “apprenants“ (le terme est à la mode) menant leur enquête de réunions publiques en rendez-vous particuliers avec des élus, paysans, commerçants, riverains… Novice dans la chose publique, ces candides — dont on devine qu’ils sont solidement cornaqués par leurs enseignants — découvrent comment décoder les beaux discours ou désamorcer la langue de bois pour faire émerger des faits occultés (ah, la députée LREM disciple de Claude Bébéar et d’Emmanuel Macron : une caricature de prêt à penser libéral start-up nation ; ah, le jeune directeur du centre commercial Parinor vantant la qualité et la richesse humaine de l’autre côté du Périphérique mais résidant Paris intra muros…).

En suivant leur éveil militant, le dégrossissage progressif de leur conscience citoyenne et environnementale, la maturation de leur sentiment d’appartenance territoriale et l’évolution positive de leur projet professionnel vers des voies plus structurées et moins individualiste, c’est au petit miracle idéalisé par le “pacte républicain“ que l’on assiste. Ou comment l’instruction donne les outils pour affronter le monde, d’où que l’on vienne, y compris du 9-3. Quoi de plus concernant, de plus susceptible de susciter une appropriation immédiate qu’un sujet les impliquant sur leur territoire, et dans leur quotidien à brève échéance ? Y a-t-il plus tangible et concrète illustration de l’exercice de la démocratie de proximité, et meilleure preuve de l’efficacité d’une mobilisation citoyenne ?

Pour mémoire, le projet EuropaCity a été abandonné fin 2019, quand d’autres du même style ont été retenus en France. Mais l’on peut légitimement se demander s’il aurait survécu à cette déroutante année 2020. Le débat qu’il pose sur l’incessant surbétonnage et de l’urbanisation des terres agricoles, alors même que des surfaces industrielles ou commerciales déjà existantes demeurent inoccupées, brûle l’écran par son actualité. L’urgence de la pandémie ne nous offre-t-elle pas l’occasion de considérer les priorités du “monde d’après“ — c’est-à-dire, celui d’un demain commençant aujourd’hui ? Une société où, au nom de l’intérêt supérieur de l’État et des citoyens, l’on préfère au culte d’une consommation mécanique déraisonnable, la valorisation d’une agriculture raisonnée et durable. La crise du Covid-19 a peut-être eu un “bénéfice collatéral“ en confirmant l’obsolescence inepte des programmes tel qu’EuropaCity ; ces archaïsmes urbanistiques, gouffres environnementaux et sépultures socio-politiques. Ces virages à 180° de l’urbanisme n’ont rien d’exceptionnel Geoffrey Couanon ouvre d’ailleurs son film par des images d’archives d’une désuète naïveté, narrant sur le ton irénique d’époque (il y a plus d’un demi-siècle) la genèse des grands ensembles : vu alors comme une panacée sur plans, l’Eldorado promis par ces concepteurs a rapidement prouvé ses limites en se frottant à la réalité humaine du terrain et de ceux qui l’habitent.

Parfait documentaire pour des débats (à ce titre, les séances d’e-cinéma accompagné combleront les attentes), Douce France souffre deux bémols. Le premier, fort classique, est de n’attirer que les concernés par les sujets — on déroule les hashtags #LycéeDeBanlieue, #Urbanisme, #TriangleDeGonesse, #AgricultureBio. Le second, c’est son approche partisane objectivement contre EuropaCity induisant un traitement discutable d’une enseignante favorable au projet, et qui se voit reprocher publiquement d’inciter des élèves à le soutenir. Même si les autres professeurs animant l’atelier sont montrés observant une apparente neutralité, on peut s’interroger sur leurs réelles convictions et l’orientation, consciente ou non, données aux débats…

Prochaines séances via La 25e Heure 


Green Boys

Un documentaire de Ariane Doublet (Fr, 1h11) : longiligne gaillard de 17 ans, Alhassane a jadis fui la Guinée. Son périlleux voyage l’a mené en Normandie, où une famille l’héberge. Attendant des décisions administratives et d’entamer une formation en mécanique, il passes ses après-midis avec Louka, 13 ans. Deux ados, deux copains…

Bien que bref, ce film est annoncé comme une “version longue“. À vrai dire, on ne voit pas trop ce qui a nécessité cet allongement et où sont les séquences ajoutées. S’agit-il de celles faisant intervenir des promeneurs interagissant au milieu des jeux ou discussions des deux camarades ? Si c’est le cas, elles auraient pu rester dans le chutier tant la mise en scène y malmène le naturel avec ces figurants aussi faux qu’une pièce de 3 euros. Autant rester sur ce qui fait le sel et l’intérêt de ce documentaire : l’histoire d’Alhassane. Entre deux saynètes avec Louka, celui-ci la raconte par bribes (et dans son idiome), parce qu’il est sans doute nécessaire de tronçonner cette lourde vérité en petites pastilles plus faciles à avaler.
Il y a ainsi dans ce film que l’on voit et ce que l’on entend, ce qui est dit et ce qui ne se dit pas, ce qui se devine et ce qui se suppose. Jamais on ne découvre les personnes qui hébergent le jeune réfugié ni comment la relation d’amitié entre les deux ados est née — elle existe, c’est tout, malgré leur quatre années d’écart, une différence considérable à cette âge. Se sont-ils rapprochés parce que voisins ou bien à cause des “différences“ respectives qu’ils représentent aux yeux des autres ? Reste un symbole fort : en construisant une cabane — comme tous les gamins sous toutes les latitudes —, Alhassane transmet à Louka la manière de bâtir une case guinéenne. Mais plante aussi les fondations de son nouveau chez lui, dans ce décor normand que la cinéaste Ariane Doublet ne manque jamais de magnifier.

En VOD à partir du mercredi 6 mai


Sankara n’est pas mort

Burkina Faso, le Pays des Hommes intègres, après le coup d’État de 2014… Poète et écrivain d’une trentaine d’années, Bikontine prend son sac à dos et part sud vers le nord en suivant son inspiration, la ligne de chemin de fer ainsi que le souvenir de Thomas Sankara (1949-1987)…

Premier chef de l’État burkinabé, assassiné en fonction, Sankara jouit auprès de la population d’un prestige intact : ce charismatique leader incarnait la voix d’une réappropriation et d’une autonomie africaines, libérée du joug colonial (ou… néo-colonial) mâtinant son discours et ses actes d’une rigueur aussi enviable que gênante pour ses adversaires. Son fauteuil a depuis vu passer quelques successeurs, mais combien peuvent légitiment revendiquer son héritage moral ? L’ont-ils fait fructifier dans le sens du progrès social, humain et matériel ? Le bilan est, on s’en doute, bien maigre. Et ce film, entre constat et méditation, en rend compte en montrant un pays où les grands chantiers nationaux (tel le symbolique réseau ferroviaire) semblent à l’arrêt depuis 1987 alors que les multinationales grignotent davantage de terrain ; où le peuple s’avoue orphelin et démotivé.

Comme tout road movie, le cheminement entrepris par Bikontine, traduit à la fois une découverte géographique et une édification personnelle. Et de Béréka à Kaya en passant par Ouagadougou, ses étapes sont autant de photographies de la situation intérieure, sociale, sociétale, du Burkina-Faso : l’histoire du pays, l’enseignement, le planning familial, la condition des femmes et des mineurs de fond à la recherche d’un hypothétique filon d’or s’y découvrent comme on feuillette le carnet de notes de Bikontine…

Thomas Sankara n’est pas mort parce son esprit vit encore. La nostalgie de son époque, longtemps étouffée par Blaise Compaoré, infuse. Qui sait : peut-être que l’Histoire reprendra le train en marche ?

Au Comœdia en e-cinéma le mardi 5 mai à 20h30 et le dimanche 10 mai à 18h
Aux 400 Coups (Villefranche sur Saône) en e-cinéma les mardi 5, mercredi 6 et jeud 7 mai à 20h30
 

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