Viggo Mortensen passe derrière la caméra, on en a parlé avec lui pendant le Festival Lumière

Falling / Le comédien aux mille talents vient de signer son premier long-métrage en tant que cinéaste, qu’il a présenté en première française durant le Festival Lumière à Lyon. Une histoire de famille où l’attachement et l’oubli se livrent un duel sans ménagement. Rencontre.

Comment se fait-il que ce soit cette histoire en particulier que vous ayez racontée pour votre premier film — car vous avez écrit plusieurs scénarios avant de réaliser Falling ?
Viggo Mortensen :
Je suppose que je voulais me souvenir de mes parents — de ma mère, pour commencer —, pour le meilleur et pour le pire comme tout le monde. Même si c’est devenu une histoire père/fils, l’inconscient de leur combat repose sur une différence d’opinion autour de leurs souvenir de leur femme et mère. Elle reste, à mon avis, le centre moral de l’histoire. Et c’est très important pour moi le casting de la mère, Gwen. Hannah Gross était parfaite, géniale : même si elle n’est pas là tout le temps, elle est là. Mais la raison pour laquelle j’ai fait mes débuts comme réalisateur et scénariste avec cette histoire, c’est parce que j’ai trouvé l’argent (sourire). J’avais essayé plusieurs fois, il y a 23-24 ans, avec un autre scénario, au Danemark, j’avais 20-30% du budget, mais pas davantage. Au bout du compte, je pense que c’était mieux que j’attende, parce que j’ai beaucoup appris d'autres réalisateurs, des autres tournages et de tous les films que je continue à voir… On apprend tout le temps. On prête attention à la manière de bien faire, à la préparation d’un tournage, au montage… La relation avec l’équipe, les acteurs, comment communiquer… J’ai vu faire de bons réalisateurs.

David Cronenberg, en particulier, puisqu’il joue dans votre film ?
Plusieurs. J’ai appris de Cronenberg, mais aussi de Jane Campion, Matt Ross, Peter Farrelly, que la préparation était très importante. C’est impossible de préparer trop, ou trop tôt, un tournage. On peut se prémunir de beaucoup de problèmes si on a bien trouvé l’équipe avant le tournage et si on communique ouvertement, honnêtement avec eux pour être d’accord sur l’histoire qu’on va raconter. C’est simple, mais quand on ne fait pas ça, on arrive sur le plateau, il y a des discussions folles, on perd du temps, on s’énerve… J’ai vécu ça, et ce n’est pas la bonne manière de tourner, à mon avis. Ces 20-25 années que j’ai attendues m’ont permis d’apprendre ces choses.

La structure du film, alternant différentes strates de temps, raconte cette mémoire qui part et revient. Mais elle trouve également un apaisement et une réconciliation grâce à une foule de plans sur la nature qui font que l’histoire n’est pas uniquement habitée par la douleur…
La subjectivité de la perception, le manque de fiabilité des souvenirs et de la mémoire sont des choses importantes dans cette histoire. Quand j’ai commencé à écrire le scénario, la base c’était mes souvenirs, même si je savais qu’ils étaient, comme tout le monde, imparfaits. On essaie de contrôler le passé, de ranger les choses d’une certaine façon pour être plus à l’aise dans notre présent. Pourtant, ces souvenirs imparfaits décident vraiment de qui nous sommes et de ce que nous faisons dans la vie, de comment nous voyons les autres : c’est comme ça. Dans l’histoire, je voulais explorer les versions différentes de Willis et John, la mémoire de Gwen, et aussi un peu le point de vue de la sœur, Sarah.

On a essayé de tourner au préalable certains souvenirs en été et en automne. C’est pour cela que je voulais trouver cette ferme très en amont, avec le chef opérateur et le chef décorateur. Et puis, je voulais aussi explorer le point de vue de Willis, d’une personne vieille qui commence à entrer dans la maladie et la démence. Je trouvais ça très intéressant, car j’ai vécu de très près cette maladie auprès de mon père, ma mère, mes grands-parents, mon beau-père et d’autres membres de ma famille… Ça m’a aidé à construire le personnage de Willis et sa relation avec son fils, John. Tout ce que j’ai vu dans l’expérience de mon père avec cette maladie, m’a beaucoup aidé à construire cette relation. Je voulais également utiliser les images et le son — quelquefois seulement les unes ou l’autre, ou les deux ensemble — pour montrer le point de vue d’une personne qui a cette maladie. Dans les meilleurs films sur le sujet, on a normalement le point de vue de l’observateur, des autres qui disent du malade : « il est perdu, il ou elle n’est plus là ». En réalité, tous les souvenirs sont beaucoup moins figés et fiables, et le présent de Willis est différent. Et lui est à l’aise, il n’est pas perdu, dans son présent même si c’est l’été ou l’automne 1952… C’est la réalité pour lui. Et ce n’est pas lui qui est confus, ce sont les autres.

Je voulais explorer ça avec l’aide de Lance Henriksen et sa façon géniale d’écouter, de réagir, de changer, de penser… On le voit, on le sent… C’est aussi pour ça que je voulais faire le film avec lui : je trouve qu’il a toujours été un acteur génial mais il n’a jamais eu l’opportunité de le montrer, à part peut-être dans la série Millenium, où il avait un peu plus de responsabilités, mais il n’a jamais eu un rôle comme ça avec tant de dialogue, de texte. Et je savais qu’il allait faire quelque chose d’intéressant. C’est une interprétation complexe, courageuse…

Avez-vous nourri le personnage ensemble ?
On a beaucoup parlé, on a partagé des choses, mais il a beaucoup pensé à son enfance, qui était terrible — il l’acceptée : il n'est pas furieux, ni amer. Quand il a accepté le rôle, il m’a dit : « ça va être nécessaire pour moi d’entrer dans mes souvenirs, dans mon passé, mon enfance, mon adolescence » et il l’a fait. Je sais qu’il est allé loin pour nous.

Pourquoi avez-vous choisi de situer l’histoire en 2009 ?
Parce que maintenant, on ne parle pas d’autre chose que de Trump — et c’est ce qu’il veut et c’est un triomphe pour lui : on ne parle pas des années précédentes, rien que de ce putain de Trump, partout dans le monde ! C’est pour ça que c’est 2009, le début de la première présidence d’Obama. La polarisation, les conflits existaient depuis longtemps aux USA, en Europe, partout mais, on n’est pas obligé de faire cette lecture. Je préfère qu’on voie la famille, qu’on commence avec les détails.

Qu’est-ce que vous vouliez raconter avec la musique, que vous avez également composée ?
Au cinéma, ce que je préfère, ce sont les histoires où je peux participer en tant que spectateur à la narration : le film peut alors devenir mon film. Du coup, si on me raconte tout, si on me dit tout ce que je dois ressentir, je le rejette un peu, même s’il est techniquement bien fait. C’est la même chose avec la musique : parfois, il y a des morceaux trop magnifiques. C’est pour ça que je voulais faire une chose discrète, appuyer ce que je raconte, sans forcer le public à penser ni à ressentir des choses.

Pourquoi avoir choisi de jouer en plus ?
Cela m’a permis de trouver l’argent pour tourner. Mais à la fin, c’était la bonne décision créative parce que j’ai pu aider Lance. Je n’étais pas seulement son réalisateur ; j’étais dans la bataille avec lui.

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