Dérive du regard

Expo / Rendre compte de la réalité tout en refusant l'esthétisme et les normes de la société du spectacle : tel est le défi que s'est lancé le photographe Bruno Serralongue qui, patiemment, construit une œuvre subversive. Jean-Emmanuel Denave

Regarder les images du photographe Bruno Serralongue (né en 1968), c'est forcément, dans un premier temps, être déçu. Tant nous sommes habitués à pénétrer dans une galerie pour y découvrir des formes maîtrisées, un style, une subjectivité artistique palpable à la surface des œuvres... Serralongue refuse tout cela, sans pour autant tomber dans l'image systématiquement pauvre et déceptive, neutre voire faussement ratée, qui est encore une façon de se forger un style. Le photographe s'intéresse tout particulièrement aux modes de production de l'information, à ses circuits de diffusion et aux normes souterraines qui la régissent : «J'opère une sorte de ré-appropriation de l'information, parce qu'il n'y a aucune raison qu'elle soit aux mains des professionnels. L'information appartient à tous ceux qui souhaitent se l'accaparer, la maîtriser, même si c'est plus difficile à titre individuel», déclarait-il dans une interview en 1999. Héritier des situationnistes, Serralongue refuse l'image spectacle formatée tout comme la photo-souvenir amateur. Il oscille entre ces deux écueils pour montrer autre chose que ce qu'exigent les attachés de presse ou les rédacteurs en chef : le hors champ des feux de la rampe, une durée non événementielle, tout ce qui se déroule d'un peu trivial, nonchalant, humain, lors d'une manifestation, d'une cérémonie, d'une fête officielle...Dans la glue du réelConcrètement, l'artiste choisit certains événements (rencontre organisée au Chiapas en 1996 par les Indiens zapatistes et le sous-commandant Marcos, concert de Johnny Hallyday à Las Vegas où étaient conviés 5 000 fans français, cérémonies de rétrocession de Hong Kong à la Chine, enterrement de Che Guevarra à Cuba, Forum Social à Mumbai en 2004...), s'y rend avec sa chambre photographique encombrante, prend peu d'images et «photographie quelque chose qui, normalement, n'a pas à l'être de cette manière» : dérives du regard sur les paysages alentours et les gens «sans importance», déambulations parmi les no man's land de l'actualité, attention portée sur la durée un peu morne et monotone des choses... On pourra découvrir au Bleu du Ciel plusieurs séries de l'artiste sous formes de tirages miniatures ainsi qu'une projection d'images prises après la fermeture du camp de réfugiés de Sangatte. Ce projet, intitulé Risky Lines, montre des hommes, maintenant sans statut ni lieu, errant le long de voies de chemins de fer ou pique-niquant à l'improviste au milieu de nulle part, des bunkers de la Seconde Guerre Mondiale utilisés comme habitats, des kilomètres de barbelés protégeant d'autres barbelés, la mer calme et tranquille à proximité, les trains ou les ferries interdits aux réfugiés... Serralongue montre tout cela sur un même niveau, essayant ainsi de rendre compte d'une réalité sous toutes ses facettes, sans cris d'orfraie ni sentimentalisme bon teint ou hypocrite. Soit tout un no man's land affligeant situé en France et qui donne peu à peu la nausée. Bruno Serralongue, «Risky lines»Au Bleu du CielJusqu'au 5 mai

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