«Une métaphysique du dérisoire»

Entretien / Dessinateur, musicien, écrivain, Fabio Viscogliosi expose aussi (à la Salle de Bains jusqu’au 3 août) en tant que plasticien. Et continue à tricoter son univers à la fois poétique, autobiographique et ouvert aux quatre vents du sens. Propos recueillis par Jean-Emmanuel Denave

Petit Bulletin : On vous connaît en tant que dessinateur, écrivain et musicien, peu en tant que «plasticien».
Fabio Viscogliosi :
Pendant longtemps je n’ai pas exposé et je me suis consacré au graphisme, aux livres et à la musique. Mais mon activité artistique remonte à l’adolescence déjà (je faisais des maquettes, de faux livres…) et j’ai une formation en arts appliqués. Le bricolage fait partie aussi des fondamentaux de mon éducation. Depuis 3 ou 4 ans, j’expose ici et là, cela est lié au hasard de rencontres. Ceci dit, toutes mes activités sont connectées entre elles : je retrouve dans la sculpture ou dans les images exposées des choses que je cherche depuis longtemps : le hasard, l’idée de parcours et de déplacement, la lenteur, une sorte aussi de métaphysique du dérisoire… Dessins, disques, sculptures et autres objets dessinent un grand ensemble, un paysage. Vous présentez à la Salle de Bains de nombreux objets et sculptures, mais aussi une vidéo-diaporama égrenant des images noir et blanc…
Pour ce diaporama, j’ai re-photographié, vite et sans souci technique, des images, des documents existants... Ce sont des photographies furtives sur des morceaux d’images qui me plaisent et je crée ainsi une seconde génération, une banque d’images provenant de sources multiples. On les voit dans l’exposition comme à travers des jumelles, en hommage aux vieux films de cinéma et tout simplement parce que je les regarde comme ça. Elles ont aussi un lien avec le livre de Raymond Roussel, La Vue, qui décrit l’intérieur d’une bouteille d’encre comme s’il s’agissait d’un lac, en maintenant ces deux réalités en parallèle, sans que l’une prenne le pas sur l’autre. Il y a deux familles d’images dans ce diaporama : des images de la nature, du ciel ou d’espaces vides, et d’autres images qui sont extraites de films de Melville ou de Bresson par exemple. Je traque dans ces films des moments creux, avant que les personnages n’entrent dans le cadre ; tout comme dans la nature je recherche souvent des moments flottants, neutres. Toutes ces images se mêlent entre elles, se répandent et se neutralisent. J’aime beaucoup l’idée du «neutre» chez Roland Barthes, qui consiste en littérature à ne pas prendre d’option tranchée, à se dégager de toute réduction de sens a priori. J’aime voir mes œuvres apparaître physiquement sans idée résolue, fixe. Je prends plaisir à tourner autour. Elles n’ont pas de signification définitive, littérale, directe. J’évite le sens prédéfini car je crois qu’il empêche de regarder les œuvres. Les images projetées dans mon diaporama peuvent par exemple tout aussi bien être réconfortantes qu’effrayantes. Vous dites néanmoins y trouver un certain apaisement ?
Par nature, personnellement, j’essaye d’être réconforté. Mais j’ai envie d’objets qui apportent une forme de réconfort souterrain, doux, parvenant au spectateur comme par surprise. Dans mes maquettes d’architectures sans fonction («Gimme Shelter»), il y a cette idée de chantier et de refuge après une tempête ou une catastrophe. La notion de refuge est très présente dans mon histoire. Cela renvoie aussi au titre de l’exposition (Je suis pour tout ce qui aide à traverser la nuit {que ce soit des prières, des tranquillisants ou une bouteille de Jack Daniel’s}) : c’est un pied de nez ou une bravade, avec en plus l’idée de traverser la nuit physiquement, réellement. J’ai vécu moi-même une catastrophe, l’accident tragique de mes parents, et je navigue toujours entre inquiétude et réconfort. J’essaye de créer des objets qui puissent relever du réconfort, mais sans tomber dans la distraction ou le divertissement. Dans toutes mes activités, on retrouve cette même démarche. Démarche où je cherche en même temps à me débarrasser de ma volonté personnelle, des mes propres opinions, à ouvrir les possibilités du sens.Vous avez réalisé aussi une série de vrais-faux Que Sais-Je ? aux titres étonnants… Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Ma série de faux Que Sais-Je ? est constituée des titres de chapitres d’un livre que je suis en train d’écrire («Les Lasagnes», «Les Cols en V», «Éloge du bricolage», «Apologie du slow»…). Ils se rapportent à des épisodes de la vie de mes parents ou d’autres personnes. Chaque livre ici, comme chaque objet dans l’exposition, est l’indice possible d’une autre réalité, d’un autre moment. L’exposition est un parcours semé d’indices qui peuvent renvoyer à d’autres parties de mes créations (chansons, écrits, dessins), ou se renvoyer entre eux au sein de l’exposition : on retrouve par exemple le motif des jumelles, de la nuit et de l’insomnie, des paires, des formes en U… L’ensemble de mon travail est une sorte de puzzle, un grand tableau personnel, mais les spectateurs peuvent regarder chaque morceau pour lui-même et être renvoyés à leur propre réalité… C’est l’idée du jeu avec le lecteur ou le spectateur, un jeu sans moquerie, qui peut être poussé plus ou moins loin, en fonction des désirs de chacun. Un jeu à la Borges ou à la Roussel dont les livres peuvent être lus à différents niveaux et même jusqu’à une sorte de mise en abîme à l’infini. Mon 33 tours vinyle avec une représentation de jeu de roulette au centre, par exemple, peut être regardé pour lui-même, ou bien comme un clin d’œil à un label de jazz connu, ou encore comme un hommage à des artistes qui utilisent la notion de hasard dans leurs œuvres tels John Cage, Georges Brecht, Robert Filliou.

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