Foucault aujourd'hui

L'exposition Archives de l'infamie s'empare d'un texte de Michel Foucault pour décrypter l'infamie d'hier et d'aujourd'hui, ces vies de peu, rejetées dans l'ombre de la société et révélées à travers les traces d'archives administratives, judiciaires, médicales... Jean-Emmanuel Denave

En 1977, deux ans après Surveiller et punir, le philosophe Michel Foucault publie La Vie des hommes infâmes. Ce texte, concis et superbe, devait constituer la préface d'un livre à venir (projet finalement abandonné) rassemblant, à partir d'archives de l'enferment aux XVIIe-XVIIIe siècles, les histoires de ces «hommes infâmes» qui ont eu maille à partir avec le(s) pouvoir(s) de l'époque. Histoires de «soldats déserteurs», de «marchandes à la toilette», de «moines vagabonds» soudainement arrachés à la grisaille de l'anonymat pour se retrouver sous les «projecteurs» ou, plus exactement, entre les mots du pouvoir. Tel Jean Antoine Touzard, enfermé au château de Bicêtre le 21 avril 1701, et dont la notice indique : «Récollet apostat, séditieux, capable des plus grands crimes. Sodomite, athée si l'on peut l'être ; c'est un véritable monstre d'abomination qu'il y aurait moins d'inconvénient d'étouffer que de laisser libre». ! À partir du XVIIe-XVIIIe siècle, d'après Foucault, le pouvoir commence à s'infiltrer au cœur de la vie quotidienne, à surveiller et à punir les gestes les plus infimes, les petites déviances, et non plus seulement les grands crimes et transgressions. Ce pouvoir ne s'exerce d'ailleurs pas uniquement d'en haut, mais il est aussi suscité, interpellé, «produit» par les familles, les voisins, les «gens d'en bas», à travers des dénonciations, des lettres de cachet, des demandes d'internement... D'où ces époux adultères, ces ivrognes, ces jeunes gens en fugue, ces débauchés, ces innombrables quidams dont les archives du XVIIIe siècle ont conservé, dans une langue classique grandiloquente, une trace fugitive, celle de leur «rencontre» malheureuse avec le pouvoir.Des vies de papier
Plutôt que d'organiser une exposition rétrospective sur l'œuvre de Foucault, cinq universitaires ont choisi de donner une suite imaginaire au projet avorté de Foucault, une suite possible et actualisée à cette préface sans suite qu'est La Vie des hommes infâmes. Archives de l'infamie se présente donc sous la forme d'un grand livre virtuel divisé en une dizaine de chapitres, rassemblant des archives et des documents (fiches, photographies, lettres, registres...) datant essentiellement du XIXe Siècle à nos jours, et montrant d'autres rencontres éphémères entre des gens ordinaires et des dispositifs de pouvoir. Rencontres ici «modernes» ou contemporaines et qui s'inscrivent non plus dans des textes au style remarquable, mais parmi les archives un peu grises ou «scientifiques» des préfectures, de la criminologie, de la psychiatrie, du système judiciaire, etc. Chaque chapitre s'articule autour d'une des idées force du texte de Foucault : «le choc des mots et des vies», «l'enregistrement des existences», «les suppliques venues d'en bas»... En déambulant dans l'exposition, on découvre tour à tour des photographies d'un asile sordide, des images d'un sans papier réduit à une simple et poignante présence fantomatique, des dessins ou tatouages de bagnards, des empreintes de mains des débuts de la criminologie, des cahiers de détenus, moult fiches administratives et signalétiques, des livrets d'ouvrier ou de militaire... Une véritable liste à la Prévert qui dessine en pointillés les relations de pouvoir modernes traversant l'ensemble du corps social, et qui esquisse aussi quelques lignes de résistance et de contre-pouvoir.Grimaces
Exposition expérimentale et en ceci passionnante, Archives de l'infamie n'en oublie pas pour autant de donner a minima quelques éléments plus généraux sur l'œuvre de Foucault. Le parcours est émaillé de «bornes» rappelant certaines notions clefs du philosophe (normes, intervention, histoire...), et l'on peut découvrir aussi plusieurs documents rares ou inédits : des manuscrits, des extraits d'émissions radio ou de cours, des projections de films... En écho à l'exposition, l'artiste Mathieu Pernot présente deux séries de photographies accrochées autour d'une installation faite de lits en ferraille et de matelas, «dortoir» sommaire et lugubre. La première représente des «hurleurs», amis ou compagnons communiquant avec des détenus en criant aux abords des prisons. La seconde des photographies d'identité d'enfants tsiganes dont les visages, les grimaces ou les mimiques semblent autant de pieds de nez au dispositif normatif du photomaton. Soit deux expressions possibles d'une résistance des individus face aux pouvoirs qui les enserrent ou tentent de les réduire... Michel Foucault, Archives de l'infamie
À la Bibliothèque Municipale de la Part-Dieu jusqu'au 28 août.

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